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Assise des juifs

Auteur

Jean Ier, duc de Bretagne

Titre en français

Assise des juifs

Titre descriptif

Décret d’expulsion des juifs de Bretagne

Type de texte

Assise

Texte

Universis presentes litteras inspecturis Johannes, dux Britanniae, comes Richemundiae, salutem. Noveritis quod nos ad precationem episcoporum, abbatum, baronum ac vassallorum Britanniae et pensata voluntate totius terrae, ejecimus omnes Judeos de Britannia, nec nos nec haeredes nostri tenebimus in Britannia ullo unquam tempore, nec sustinebimus quod aliqui de subditis nostris ipsos teneant in terris suis in Britannia. Praeterea omnia debita que debentur dictis Judeis in Britannia constitutis, quocumque modo et qualitercumque eis debentur, penitus remittimus et quietamus; et terrae eisdem Judeis obligatae et quaecumque pignora mobilia et immobilia ad debitores vel eorum heredes revertentur, exceptis terris et aliis pignoribus quae jam vendita sunt Christianis per judicium curiae nostrae. Praeterea nullus de morte Judeorum interfectorum usque modo accusabitur vel convenietur. Praeterea bona fide pro posse nostro rogabimus et inducemus dominum regem Franciae quod istam ordinationem sive assisiam velit et confirmet per litteras suas. Praerterea manucapimus pro nobis et pro patre nostro quod nullis Judeis in terra patris nostri debita jam contracta in Britannia nullatenus persolvantur. Istam assisiam taliter ordinatam juravimus bona fide in perpetuum servare, et si contra ordinationem juravimus bona fide in perpetuum servare, et si contra ordinationem istam nos venire contigerit, episcopi Britanniae communiter vel sigillatim possunt nos excommunicare et terras nostras in suis diocesibus supponere interdicto, non obstante aliquo privilegio impetrato vel impetrando. Insuper gratamus et concedimus quod heredes nostri qui pro tempore nobis succedent, postquam advenerint ad legitimam aetatem, jurabunt hanc assisiam prout superius ordinata est se fideliter servaturos. Et dicti barones, vassalli vel alii quicumque qui debeant fidelitatem comiti Britanniae, non jurabunt fidelitatem nec facient homagium dictis heredibus nostris, donec ipsi sufficienter requisiti per duos ad minus episcopos, vel per duos barones ad minus nomine aliorum, istam assisiam se juraverint fideliter servaturos; quo jurato a dictis heredibus, ipsi barones et alii qui debent fidelitatem comiti Britanniae ex tunc jurabunt fidelitatem et facient hommagium dictis heredibus sicut debuerint sine mora. Praeterea episcopi et barones et vassalli juraverunt et concesserunt quod nullo unquam tempore Judeos tenebunt sive permittent teneri in terris suis in Britannia. Datum apud Plairmel, die Martis ante resurrectionem Domini anno graciae MCCXXXIX.

Langue

Latin

Source du texte original

M. Planiol, La très ancienne coutume de Bretagne : avec les assises, constitutions de parlement et ordonnances ducales, suivies d'un recueil de textes divers antérieurs à 1491 (Rennes, 1896), 329-30

Datation

  • Date fixe : 10/04/1240
  • Précisions : La date, « le mardi avant la Résurrection de notre Seigneur l’an MCCXXXIX » correspond au 10 avril 1240, puisque la nouvelle année commençait le jour de Pacques, le 15 avril 1240.

Aire géographique

Traduction française

A tous ceux qui les présentes lettres verront, Jean, Duc de Bretagne, Comte de Richement, salut. Sachez que nous, sur la demande des évêques, des abbés, des barons et des vassaux de Bretagne, ayant examiné avec soin l'intérêt du pays, nous chassons de Bretagne tous les Juifs. Ni nous, ni nos héritiers nous n'en tiendrons jamais un seul sur nos terres en Bretagne et nous ne souffrirons pas qu'aucun de nos sujets en aient sur les siennes. Toutes les dettes contractées envers des juifs établis en Bretagne, de quelque manière et pour quelque raison que ce soit, nous les remettons entièrement et nous en donnons quittance. Toutes les terres hypothéquées à des Juifs, tous les gages mobiliers ou immobiliers détenus par eux feront retour aux débiteurs ou à leurs héritiers, sauf les terres et les autres gages qui auraient été vendus à des chrétiens par jugement de notre Cour. Personne ne sera accusé ou mis en jugement pour avoir tué un Juif avant aujourd'hui. Nous prierons, nous engagerons de bonne foi et de tout notre pouvoir Monseigneur le Roi de France à confirmer par ses lettres la présente assise ou ordonnance, et nous nous portons garant pour notre père et pour nous que les dettes contractées en Bretagne envers les Juifs ne seront jamais payées sur les terres de notre père. Cette assise, comme elle est ici écrite, nous avons juré de bonne foi d’observer à jamais ; s’il nous arrivait d’y contrevenir, tous les évêques de Bretagne ensemble ou chacun séparément, peuvent nous excommunier et mettre l’interdit sur nos terres sises dans leurs diocèses, nonobstant tout privilège obtenu ou à obtenir par nous. De plus, nous voulons et accordons que nos héritiers qui au temps à venir nous succèderont, quand ils auront atteint l’âge légitime, s’engagent par serment à fidèlement observer cette assise comme elle est écrite ici. Les barons, les vassaux et tous autres astreints à jurer fidélité au comte de Bretagne ne la jureront point ni ne rendront leur hommage à nos héritiers, tant que ceux-ci, dûment requis par deux évêques ou deux barons au moins au nom des autres, n’auront pas juré de garder cette assise fidèlement. Mais ce serment fait, les barons et tous ceux qui doivent fidélité au comte de Bretagne jureront fidélité et rendront hommage immédiatement à nos héritiers. Enfin, les évêques, les barons et tous les vassaux de notre duché ont juré et accordé que jamais ils ne recevront ni ne permettront de recevoir des Juifs dans leurs terres en Bretagne. Donné à Ploërmel, le mardi avant la Résurrection de notre Seigneur l’an MCCXXXIX. [=10 avril 1240 nouveau style]

Source traduction française

A. de la Borderie, Histoire de la Bretagne 3 (Rennes, 1899), 338-39 (traduction modifiée)

Résumé et contexte

Le duc de Bretagne Jean Ier le Roux convoqua les états de Bretagne, qui se réunirent à Ploërmel au printemps 1240. Dans cet édit prononcé pendant les états, il décrète l’expulsion de tous les juifs du duché : ni le duc lui-même ni aucun de ses vassaux ne devront plus autoriser aucun juif à résider sur leurs terres. Il tente de lier ses successeurs à cette mesure, leur demandant de n’accepter d’hommages que de vassaux ayant juré de l’appliquer. Il va même jusqu’à exhorter les évêques présents aux états de l’excommunier si lui-même, à l’avenir, ne devait pas respecter son propre édit. Une autre mesure importante de l’édit est l’annulation de toutes les dettes contractées auprès des prêteurs juifs et la saisie des gages confiés à eux en garantie de leurs emprunts. Nous savons que nombre de vassaux du duc, ainsi même que le père de ce dernier, Pierre de Dreux, avaient accumulé des dettes considérables envers les prêteurs juifs. Ces créanciers bénéficiaient évidemment du décret : non seulement leurs dettes étaient annulées, mais ils récupéraient aussi leurs gages. En 1236, la communauté juive de Bretagne – d’importance vraisemblablement modeste – avait eu à subir une série d’attaques de croisés dont certains appartenaient probablement au cercle de Pierre de Dreux. Jean déclare ici qu’aucun de ses sujets ne pourra être traduit en justice pour le meurtre d’un juif perpétré avant le présent décret ; ceci faisait certainement bien l’affaire de ses vassaux, dont certains avaient sans doute participé aux massacres de 1236.

Signification historique

La Bretagne du XIIIe siècle gravitait entre les deux pouvoirs rivaux des Capétien de France et des Plantagenêt d’Angleterre, le père de John, Pierre de Dreux, ayant rendu alternativement hommage aux rois de France et d’Angleterre. La brève histoire des juifs en Bretagne est aussi liée à celle de ceux d’Angleterre, et surtout de France. De fait, il y a peu de témoignage de présence juive dans le duché avant le XIIIe siècle et il se pourrait bien que les premiers juifs soient arrivés en Bretagne en conséquence de l’édit décrété contre eux par Philippe II Auguste, qui les avait expulsés du domaine royal en 1182. Entre 1209 et 1235, nous trouvons quelques établissements juifs, principalement dans les villes de Nantes, Guérande, Rennes et Fougère : ils possèdent leurs cimetières à Nantes, où ils sont directement soumis à la juridiction de l’évêque. Mais la majorité des témoignages provient de contrats de prêt, ce qui montre qu’un certain nombre de Bretons issus de la noblesse avaient contracté d’importantes dettes à l’égard de créanciers juifs pendant cette période. Parfois, ils durent vendre d’importantes portions de terres pour rembourser leurs crédits. Les massacres du printemps 1236 visèrent non seulement les juifs de Bretagne mais aussi ceux d’Anjou, du Poitou, et peut-être de quelques localités de Normandie. Selon le pape Grégoire IX, environ deux-mille cinq cent juifs périrent. La plupart des sources qui rapportent ces massacres les attribuent à des bandes de croisés, mais il est probable que le ressentiment de débiteurs à l’endroit de leurs créanciers fut également une cause des événements, ce d’autant que des vassaux de Pierre de Dreux qui l’avaient accompagné à la croisade avaient probablement – à l’instar de Pierre lui-même – contracté des dettes auprès de prêteurs juifs. Alors que dans les territoires placés sous l’autorité de la couronne royale, des enquêtes diligentées par le pouvoir royal recherchèrent ceux qui étaient soupçonnés d’avoir tué des juifs et de s’être accaparés leurs biens illicitement, les auteurs des mêmes faits en Bretagne devaient donc demeurer impunis. Cette expulsion fait suite à celle qui fut ordonnée par Philippe Auguste en 1182 et en précède d’autres (Edouard Ier expulsa les juifs d’Angleterre en 1290 ; Philippe IV le Bel ceux de France en 1306). Comparé à ces autres décrets d’expulsion, une mesure paraît originale, celle par laquelle le duc s’engage solennellement à ne pas annuler son ordonnance. Les rois de France en particulier utilisaient l’expulsion (ou de la menace d’expulsion) comme un moyen pour extorquer de l’argent aux juifs, et n’auraient jamais lié ainsi leurs mains en promettant de ne jamais réadmettre les juifs à une date ultérieure : de fait, Philippe II le réadmit en 1198 et le successeur de Philippe le Bel , Louis X, les réadmit à nouveau en 1315.

Textes apparentés inclus dans le corpus

Manuscrits

  • L’édit est préservé dans une copie du XIVe s. (Rennes, Bibliothèque Municipale MS 271).

Editions

  • G. Lobineau, Histoire de Bretagne (Paris, 1707) 2 : 392
  • M. Planiol, La très ancienne coutume de Bretagne : avec les assises, constitutions de parlement et ordonnances ducales, suivies d'un recueil de textes divers antérieurs à 1491 (Rennes, 1896 ; reprint Genève 1984), 329-30.

Etudes

  • L. Brunschvicg, Les juifs de Nantes et du pays nantais (Nantes, 1890).
  • L. Brunschvicg, « Les juifs en Bretagne », Revue d’Etudes Juives 49 (1904), 110-15
  • M. Lower, The Barons' Crusade: a call to arms and its consequences (Philadelphia, 2005).
  • C. Toczé, Les Juifs en Bretagne (Ve-XXe siècles) (Rennes, 2006).

Mots-clés

crédit ; expulsion ; usure ; violence

Auteur de la notice

John   Tolan

Comment citer cette notice

Notice n°87461, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»

Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait87461/.

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