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Etsi Iudeos

Auteur

Innocent III

Titre en français

Etsi Iudeos

Titre descriptif

Lettre à l'archevêque de Sens et a l'évêque de Paris concernant les juifs

Type de texte

Bulle pontificale

Texte

Archiepiscopo Senonensi, et Parisiensi episcopo. Etsi Iudeos, quos propria culpa submisit perpetue seruituti, cum Dominum crucifixerint, quem sui prophete predixerant ad redemptionem Israel in carne uenturum, pietas Christiana receptet, et sustineat cohabitationem illorum, quos etiam, propter eorum perfidiam, Saraceni, qui fidem Catholicam persequuntur, nec credunt in Crucifixum ab illis, sustinere non possunt, sed potius a suis finibus expulerunt, in nos uehementius exclamantes, eo quod sustineantur a nobis, qui ab ipsis crucis patibulo condemnatum Redemptorem nostrum ueraciter confitemur, ingrati tamen nobis existere non deberent, ut rependerent Christianis de gratia contumeliam, et de familiaritate contemptum, qui, tanquam in nostram misericorditer familiaritatem admissi, nobis illam retributionem impendunt, quam, iuxta uulgare prouerbium, mus in pera, serpens in gremio et ignis in sinu, suis consueuerunt hospitibus exhibere. Accepimus autem, quod Iudei, quos gratia principum in suis terris admisit, adeo facti sunt insolentes, ut illos committant excessus in contumeliam fidei Christiane, quos non tantum dicere, sed etiam nefandum cogitare. Faciunt enim Christianas filiorum suorum nutrices, cum in die Resurrectionis Dominice illas recipere corpus et sanguinem Iesu Christi contigit, per triduum, antequam eos lactent, lac effundere in latrinam. Alia insuper contra fidem Catholicam detestabilia et inaudita committunt, propter que fidelibus est uerendum, ne diuinam indignationem incurrant, cum eos perpetrare patiuntur impune que fidei nostre confusionem inducunt. Rogauimus igitur charissimum filium nostrum in Christo, Philippum, regem Francorum illustrum, mandauimus etiam nobili uiro duci Burgundie, et comitisse Trecensi, ut taliter reprimant Iudeorum excessus, ne ceruicem perpetue seruitutis iugo submissam presumant erigere contra reuerentiam fidei Christiane, inhibentes districtius, ne de cetero nutrices, uel seruientes habeant Christianos, ne filii libere filiis famulentur ancille, sed, tamquam serui a Domino reprobati, in cuius mortem nequiter coniurarunt, se saltem per effectum operis recognoscant seruos illorum, quos Christi mors liberos et illos seruos effecit; quia, cum iam incoeperint rodere more muris et pungere sicut serpens, uerendum est ne ignis receptatus in sinu corrosa consumat. Quocirca, fraternitati uestra per apostolica scripta precipiendo mandamus, quatenus, efficaciter inducere procuretis, quod Iudei perfidi de cetero nullatenus insolescant, sed sub timore seruili pretendant semper uerecundiam culpe sue, ac reuereantur honorem fidei Christiane. Si uero Iudei nutrices et seruientes non imiserint Christianos, uos, auctoritate nostra suffulti, sub excommunicationis poena inhibeatis districte omnibus Christianis, ne cum eis commercium aliquod audeant exercere. Datum Rome, apud Sanctum Petrum, Idibus Iulii, anno octauo.

Langue

Latin

Source du texte original

S. Grayzel, The Church and the Jews in the XIIIth Century (New York, 1966), 114-16.

Datation

  • Date fixe : 15/07/1205

Aire géographique

Traduction française

A l’archevêque de Sens et à l’évêque de Paris. La piété chrétienne reçoit les juifs et leur permet de vivre parmi les chrétiens, eux qui par leur propre faute se sont soumis à la servitude perpétuelle lorsqu’ils crucifièrent le Seigneur (dont leurs prophètes avaient annoncé la venue dans la chair pour la rédemption d’Israël), alors même que les Sarrasins, qui persécutent la foi chrétienne et ne croient pas dans celui qui a été crucifié par eux, ne peuvent pas les supporter, mais les expulsent de leurs territoires et nous reprochent vivement de les tolérer, alors que nous croyons qu’ils ont condamné notre rédempteur au bois de la croix. Les juifs ne doivent donc pas être ingrats, ni repayer la grâce avec l’insulte et la familiarité avec la haine. Comme par piété ils sont admis dans notre intimité, ils ne doivent pas nous menacer avec une rétribution qu’ils font subir souvent à leurs hôtes, selon le proverbe populaire, « comme une souris dans la poche, comme un serpent dans le giron et comme le feu dans le sein ». Nous avons entendu que les juifs, que la grâce des princes accueille dans leurs terres, se sont fait si insolents qu’ils commettent de tels excès en insultant la foi chrétienne, qu’il est terrible non seulement de le dire, mais même de le penser. Car ils font des chrétiennes les nourrices de leurs enfants et, quand elles reçoivent au jour de la Résurrection du Seigneur le corps et le sang de Jésus Christ, ils les obligent pendant trois jours, avant qu’elles redonnent le sein, de verser leur lait dans les latrines. Ils commettent aussi d’autres délits détestables et inédits contre la foi catholique, à tel point que les fidèles devraient craindre de subir l’indignation divine, comme on leur permet de perpétrer impunément des faits qui mènent à la confusion de notre foi. Nous avons donc demandé à notre très cher fils dans le Christ, Philippe, illustre roi des Français, nous avons également demandé au noble homme le duc de Bourgogne et à la comtesse de Troie, qu’ils répriment de tels excès des juifs, pour que ceux-ci n’ose pas lever le cou, soumis au joug de la servitude perpétuelle, contre la révérence à la foi chrétienne. Qu’ils empêchent notamment que les juifs aient des nourrices ou serviteurs chrétiens, pour que les fils de la femme libre ne servent pas les fils de l’esclave, mais au contraire que, tels des esclaves reprouvés par le Seigneur, dont ils avaient comploté la mort, ils se reconnaissent comme les esclaves de ceux dont la mort du Christ a libérés et a fait d’eux [les juifs] des esclaves. Car puis qu’ils ont déjà commencé à ronger comme une souris et à mordre comme un serpent, il est à craindre que ce qui reste soit consommé par le feu dans le sein. Nous mandons donc par écrit apostolique à votre fraternité que vous vous occupiez efficacement de faire de sorte que les juifs perfides ne soient pas insolents dans ces choses, mais qu’avec une peur servile ils aient toujours honte de leur faute et qu’ils révèrent l’honneur de la foi chrétienne. Si du reste les juifs ne relâchent pas leurs serviteurs chrétiens, vous, imbus de notre autorité, sous peine d’excommunication, interdirez à tous les chrétiens qu’ils osent faire du commerce avec eux. Donné à Rome, à St. Pierre, les Ides de juillet de la huitième année.

Source traduction française

J. Tolan

Résumé et contexte

Dans cette lettre adressée à l’évêque de Paris et à son supérieur hiérarchique, l’archevêque de Sens, Innocent reprend un des thèmes de la lettre il avait précédemment adressée au roi Philippe Auguste, Etsi non displiceat Domino, auquel il fait référence. Il se réfère également à des lettres dans le même sens qu’il aurait envoyées au duc de Bourgogne et à la comtesse de Troyes. La lettre concerne le cas de serviteurs chrétiens au service des juifs, pratique visiblement courant (et bien attestée dans la documentation en latin et en hébreu), point qu’Innocent avait abordé (entre bien d’autres) dans Etsi non displiceat Domino. Si dans la première bulle il avait parlé de serui chrétiens dans le service domestique des juifs, ici il utilise le terme seruientes. En effet, serui se réfère d’ordinaire à des personnes non libres, alors que seruientes se réfère aux fonctions et non pas au statut de libre ou non-libre. Innocent distingue ici entre les deux termes, utilisant à plusieurs reprises le terme de serui pour désigner le statut servile imposé aux juifs en punition pour la mort du Christ. Le pape réitère l’interdiction aux juifs d’employer des seruientes chrétiens. Contrairement au roi, l’évêque et l’archevêque n’ont aucune autorité légale sur les juifs. Le pape les exhorte donc à utiliser la sentence d’excommunication à l’encontre des chrétiens qui feraient du commerce avec des juifs si ces derniers continuent à employer des domestiques. On voit que le pape cherche à aller au-delà d’une condamnation de principe, pour trouver des remèdes efficaces contre des pratiques courantes et souvent interdites.

Signification historique

Encore une fois, ce qui frappe dans cette bulle est la dureté des propos et la tendance du pape à colporter des rumeurs antijuives : dans Etsi non displiceat Domino, il les accusait de complicité avec les voleurs et de meurtre de chrétiens innocents. Ici il dénonce ce qu’il présente comme une pratique courante : des juifs obligeraient leurs nourrices chrétiennes à verser du lait dans les latrines quand celles-ci ont communié, et cela pendant trois jours. Ceci présuppose une hostilité et mépris des juifs pour leurs nourrices chrétiennes, ce qui ne correspond pas de tout avec l’image qu’on trouve dans la documentation hébreux (voir Baumgarten). L’émergence de telles accusations, et la réception qu’on les réserva jusqu’au Latran, a sans doute moins à voir avec des vraies pratiques des juifs qu’avec les préoccupations théologiques de clercs chrétiens. De fait, c’est sous le pontificat du même Innocent III que le concile du Latran IV (en 1215) entérine la doctrine de la Transsubstantiation, selon laquelle le pain et le vin de l’Eucharistie se transforment physiquement en chair et en sang du Christ. Le fait que les juifs obligent leurs nourrices ayant communiqué à verser leur lait dans les latrines montrerait d’abord qu’ils reconnaissent le pouvoir de l’Eucharistie, pouvoir présent dans le lait des chrétiennes, et pour cela veulent éviter que leurs enfants en boivent. Il suggère aussi une hostilité envers le sacrement : ce lait imbu de la présence divine est versé dans un lieu de souillure ; de manière similaire, des histoires de profanation d’hosties vont, à partir du XIIIe siècle, souvent relater que des juifs mettent des hosties dans des latrines ou des tas d’ordures (voir Rubin). Dans une logique perverse, on croit que les Juifs reconnaissent la présence du Christ dans la hostie consacrée (et, ici, jusque dans le lait des communicantes), et que cette présence provoque leur haine et violence éternelle contre le Christ. Comme l'a montré Diego Quaglioni, divers commentateurs de cette décrétale (y compris Hostiensis) acceptent l’accusation d’Innocent comme la description d’une pratique juive, qui pour eux monterait que les juifs ont une conception matérialiste (et fausse) de l’Eucharistie. En fait, affirment ces commentateurs, le corps du Christ est nourriture pour l’âme, non pour le corps. Comme dans Etsi non displiceat Domino, Innocent contextualise ses propos en évoquant l’idée que les juifs, en tuant le Christ, se seraient condamnés eux-mêmes à la « servitude perpétuelle ». Il affirme que même nos ennemis les Sarrasins ne peuvent pas supporter les juifs insolents et qu’ils les expulsent de leur territoire. Il fait allusion sans doute aux émigrations provoquées par le durcissement du régime Almohade envers les juifs (et du reste envers les chrétiens). Les juifs sont insupportables à cause de leur « insolence », alors qu’ils devraient humblement reconnaître leur statut d’esclaves au sein de la société chrétienne. Mais en lieu de cela, ils cherchent à nuire leur bienfaiteurs chrétiens. Pour illustrer l’hostilité juive, il cite un un proverbe qu’on trouve au XIIe siècle, par exemple dans des sermons de Pierre de Blois (voir S. Singer, Thesaurus proverbiorum medii aevi (Berlin, 2000), p. 129-30.) : les juifs sont « comme une souris dans la poche, comme un serpent dans le giron et comme le feu dans le sein ». Il revient à ce proverbe à la fin de la lettre, soulignant l’image animale attribuée aux juifs, qui auraient « déjà commencé à ronger comme une souris et à mordre comme un serpent ».

Manuscrits

  • Archivum secretum vaticanum Reg. Vat. 7, f. 38v-39r.

Etudes

  • David Biale, Blood and Belief: The Circulation of a Symbol between Jews and Christians (Berkeley, 2007).
  • E. Baumgarten, Mothers and children: Jewish family life in medieval Europe (Princeton, 2004).
  • R. Chazan, « Pope Innocent III and the Jews », in J. Moore, ed., Pope Innocent III and his World (Aldershot, 1999), 187-204.
  • R. Chazan, Medieval Jewry in Northern France: A Political and Social History (Baltimore, 1974).
  • C. Klapisch-Zuber, "Parents de sang, parents de lait: La mise en nourrice a Florence (1300-1500)," Annales de démographie historique 19 (1983):33-64.
  • D. Quaglioni, "'Christianis infesti', una mitologia giuridica dell'età intermedia: l'Ebreo come 'nemico interno'", Quaderni fiorentini per la storia del pensiero giuridico moderno 38 (2009), 201-24.
  • M. Rubin, Gentile Tales: The Narrative Assault on Late Medieval Jews (New Haven, 1999).

Mots-clés

nourrices ; serviteurs

Auteur de la notice

John   Tolan

Comment citer cette notice

Notice n°30352, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»

Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait30352/.

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