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Costums de Tortosa [1:9:3]

Auteur

Costums de Tortosa

Titre en français

Coutumes de Tortosa

Titre descriptif

Comment les juifs doivent s'habiller

Type de texte

coutume

Texte

Los jueus la sobirana vestidura deue, portar tal : que cobra totes les altres vestidures e deu esser feyta axi com capa de clergues que porten en cor : redona tota e closa, ab capero. E no deu esser listada : ne vert, ne vermella ; mas daltre drap ab que fia pla, car nulla altra vestidura que sia sobirana sobre totes les altres no deuen portar, sino aytal com desus es dit. Les juyes deuen portar aldifara sobre totes les altres vestidures, axi com fan les sarraynes, e no deuen ligar sauena : ne vestir vestidures crestianesques

Langue

catalan

Source du texte original

Coutumes de Tortosa, livre 1, rubrique 9, chapitre 3

Datation

  • Date fixe : 1279

Aire géographique

Traduction française

Les juifs doivent porter un vêtement qui couvre tous les autres vêtements et qui est comme la cape que porte un ecclésiastique dans un chœur : tout rond, fermé, avec capuchon. Et il ne doit pas être rayé, vert ni vermeil ; pas plus d'un autre tissu qui fut uni : parce qu’aucune autre tenue ne devait être portée sur les autres vêtements que celle qui vient d’être dit. Les juifs doivent porter une aldifara sur tous les autres vêtements, comme le font les sarrasins, et ils ne doivent pas attacher un drap, ni porter de vêtements chrétiens.

Source traduction française

Y Masset

Résumé et contexte

Ce texte est dans la lignée du Concile de Latran IV, en 1215, où l'on exige des juifs qu'ils portent un signe distinctif sur leurs vêtements afin de se démarquer des chrétiens. Le port de la rouelle (dans le texte cela correspond à « aldifara », pièce de tissu cousue sur un vêtement) est une des seules mesures nouvellement prise au sujet de cette minorité lors de la réunion de 1215. Les papes successifs furent régulièrement contraints de rappeler aux rois les décisions prises à Latran IV lorsque ces derniers ne mettaient pas en place une politique drastique visant à faire appliquer la rouelle.

L’interdiction de porter des rayures sur les habits est particulièrement paradoxale. Il faut savoir que ce type de vêtements était particulièrement infamant au Moyen Âge. Michel Pastoureau explique que « le rayé, quels que soient son périmètre et ses couleurs, est plus fortement marqué — et donc plus « efficace » — que la couleur jaune, le bonnet pointu ou à rouelle partie. » (M. Pastoureau, Rayures…, p. 22). Le port de vêtements rayés symbolise ainsi l’infamie, la volonté d’exclure tous ceux qui ne sont pas dans la norme chrétienne (prostituées, chevaliers félons…). Toutefois, le fait que les coutumes de Tortose interdisent ce type d’habits aux juifs est paradoxal : pourquoi doivent-ils arborer une rouelle dans le but d’être visibles et exclus, en un certain sens, de la société et pourquoi ne doivent-ils pas porter de rayures, pourtant symbole d’exclusion par excellence ? Peut-être les autorités publiques ont-elles voulu proposer un compromis aux attentes ecclésiastiques en établissant une distinction entre juifs et chrétiens tout en ne les mettant pas au pilori au même titre que les prostituées ?

Enfin, pourquoi les juifs ne pouvaient-ils pas arborer certaines couleurs : le vert et le vermeil ? La première est celle utilisée pour symboliser l’Islam, le diable, le désordre, la folie, l’amour infidèle ou l’avarice. Le rouge est la couleur pour « les chrétiens se livrant à des activités déshonorantes (prostituées, bourreaux) ou bien atteints d’infirmités qui, pour la mentalité médiévale, sont presque toujours assimilées à des signes extérieurs du pêché (cagots et lépreux par exemple). Ainsi, nous pouvons constater que le vermeil-rouge convient aux mauvais chrétiens, de même pour le vert — qui symbolise aussi l’Islam. C’est pourquoi les juifs ne peuvent revêtir des vêtements de ces teintes car elles ne leur correspondent pas, alors que le jaune si. Cette couleur est celle des non-chrétiens, marque de la fausseté, de l’infamie, de la félonie, de l’avarice, de l’envie, de la trahison (couleur de Judas) et de la paresse. Toutefois, les coutumes de Tortose ne précisent pas que les juifs doivent porter cette teinte sur leurs habits ; est-ce implicite, est-ce un oubli ou une décision mûrement réfléchie ? ou cherche-t-on à établir une démarcation entre juifs et chrétiens sans pour autant que cela prenne l’allure d’une politique de ségrégation ?

Signification historique

Le fait de porter une marque significative n’est pas une nouveauté du début du XIIIème siècle. Bien au contraire, c’est un usage commun au Moyen Âge pour montrer son appartenance à un groupe ou à une congrégation. Généralement, cette méthode sert à valoriser sa position, comme le font les croisés ou les pèlerins. Ce n’est donc pas toujours dans un but préjudiciable que l’on exigeait le port de signes distinctifs, même si ici la volonté de mettre au pilori une partie de la population ne fait pas de doutes. D’autres types de marques distinctives existent, comme par exemple la cape à capuche qui ressemble beaucoup à celle du clergé. De leur côté, les juifs aragonais, d’après Léon Poliakov, étaient traditionnellement reconnaissables « à leurs manteaux et tenaient beaucoup eux-mêmes à cette distinction. » Claire Soussen Max explique que les juifs aragonais se distinguaient des chrétiens grâce à des sortes de manteaux, la capa judaica. Toutefois, il ne faut pas se tromper sur l’interprétation qu’il convient de donner au port de ceux-ci. Les juifs les revêtaient lors de la prière, c’était un objet de culte et non pas un vêtement que l’on portait quotidiennement. Les chrétiens n’ont pas fait cette distinction et l’amalgame permit de justifier le port de la capa judaica. L’existence de ce manteau pourrait laisser penser qu’il n’était pas nécessaire d’imposer la rouelle alors que pour certains historiens comme Maurice Kriegel, les juifs aragonais durent l’arborer avec autant de rigueur qu’en France. L’application de ce type de décret visant à instaurer le port de vêtements particuliers pour les juifs fait débat. Pour certains historiens le fait qu’ils eurent droit à de nombreuses exemptions, collectives ou individuelles, définitives ou temporaires démontre que cette règle n’était pas réellement appliquée. Cependant, il serait plus probable que la nécessité d’octroyer aux juifs des privilèges prouve le contraire. Pour se prémunir contre cette règle contraignante appliquée de façon drastique, il semblerait que la minorité religieuse ait eu la possibilité d’être exemptée moyennant financement. Pour Claire Soussen Max, cette exemption serait née du fait que les juifs aragonais se distinguaient déjà des chrétiens, comme je l’ai évoqué précédemment. Elle semble avoir été demandée par les juifs eux-mêmes et acceptée grâce à l’aide du comte Carlos Ier de Provence, roi de Naples et de Sicile, ce dernier ayant bien voulu recevoir leurs doléances, sous les mandataires R. Mardoqueo de Yosef d’Avignon et le maître R. de Saili de la Torre de Tarascon. La demande de révocation du roi au pape, quant à elle, serait due à la peur de voir tous les juifs quitter l’Aragon si on leur imposait ce signe. Ceci fut un succès. Mais, de telles dispenses ne furent que de courte durée car le pape Grégoire IX rappela aux rois ibériques l’obligation de faire appliquer le port de la roue, notamment le 7 juin 1233 auprès de Sanche le Fort, roi de Navarre. De plus, Jacques Ier d’Aragon appliquera les directives pontificales en obligeant les juifs à coudre cet insigne sur leurs vêtements dans une ordonnance du 22 décembre 1228, renouvelée à son tour par Jacques II en 1301. De leur côté, malgré les bulles papales, les juifs castillans ne portaient pas la rouelle de façon systématique, contrairement à l’Aragon et au Sud de la France où les juifs la revêtaient avec beaucoup plus de régularité. Et cela, même si la Castille a essayé, grâce à un favori juif de la cour, Don Jucef d’Ecija, d’étendre ces exemptions à la couronne d’Aragon, en prenant comme prétexte le mariage en 1329 d’Alphonse IV avec la sœur du roi castillan. La situation n’étant pas en leur faveur en Aragon, les juifs essayèrent pourtant, tant bien que mal, d’échapper à cette obligation. Ainsi, ils tentèrent de cacher ce signe le mieux possible : en 1268, les juifs de Catalogne obtiennent grâce à la corruption de personnages haut placés que les dimensions de leur rouelle soient réduites. Ces dispenses prouvent que l’application du port de la rouelle fut inégale et disparate mais cela n’induit pas pour autant un laxisme de la part des autorités. De son côté, l’Église réagit en s’opposant à toutes les dispenses accordées par les différents rois. Pour marquer ce mécontentement, les papes successifs rédigèrent et envoyèrent des lettres de contestations aux différents souverains pratiquant ces exemptions. L’Église, semble-t-il, n’alla pas au-delà des menaces, les mesures plus coercitives comme les amendes ou les coups de fouets pour ceux qui fraudaient étant l’œuvre du pouvoir séculier. Les juifs essayèrent d’échapper au caractère vexatoire de ces signes, mais en faisant cela ils prenaient de grands risques puisque différentes mesures furent préconisées en cas de non-respect des règles, la plus basique étant une amende. De plus, dans sa chronique Selomoh Ibn Verga parle de châtiments corporels, de coups de fouets et de menaces de mort, ces dernières n’étant toutefois pas suivies des faits. Nous pouvons constater cela dans l’ordonnance de Barcelone du 19 mai 1313 et celle du 2 janvier 1321 dans laquelle la peine était de 20 sous ou de coups de fouet, cette dernière punition étant souvent privilégiée. À Lerida, la peine était encore plus lourde : 2 livres ou bien 20 coups de fouets.

Textes apparentés inclus dans le corpus

Manuscrits

  • Ce recueil de coutumes prend naissance dans les chartes de peuplement données à la ville par Ramon Berenguer IV en 1148 et en 1149. En 1274, une première tentative de compilation a été menée par les notaires de Tortosa Pere Tamarit et Pere Gil, mais elle fut rejetée par les seigneurs. Elle ne fut approuvée qu’en 1279, après l'arbitratge de l'évêque de Tortosa Arnau Desjardí, l'archidiacre de Lleida Ramon de Besalú et de Domènec Terol.

Editions

  • D.Ramon Foguet, Codigo de las costumbres escritas de Tortosa (Tortosa, 1912), 84-85.

Traductions

  • D.Ramon Foguet, Codigo de las costumbres escritas de Tortosa (Tortosa, 1912), 84-85.

Etudes

  • S.Ibn Verga, La Vara de Yehudah (Barcelone, 1991)
  • M.Kriegel, Les Juifs dans l’Europe méditerranéenne à la fin du Moyen Âge (Paris, 2001).
  • M.Pastoureau, Rayures. Une histoire des rayures et des tissus rayés (Paris, 1995)
  • M.Pastoureau, Figures et couleurs- étude sur la symbolique et la sensibilité médiévales (Paris, 1986).
  • L.Poliakov, Histoire de l’antisémitisme (Paris, 1981), t. 1.
  • D.Sansy, “Marquer la différence : l’imposition de la rouelle aux XIIIe et XIVe siècles”, Médiévales 41 (automne 2001), 16-36.
  • C.Soussen Max, Iudei Nostri. Pouvoir royal, communautés juives et société chrétienne dans les territoires de la Couronne d’Aragon (XIIIe-1ère moitié du XIVe siècle) (Paris, 2005).

Mots-clés

humiliation ; vêtement

Auteur de la notice

Youna   Masset

Collaborateurs de la notice

Laurence   Foschia  :  traduction

Comment citer cette notice

Notice n°30342, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»

Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait30342/.

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