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Concilium Lateranense IV[c. 67]

Assemblée

Concilium Lateranense IV

Titre en français

Latran IV

Titre descriptif

L'usure pratiquée par les juifs

Type de texte

Canon de concile

Texte

Quanto amplius christiana religio ab exactione compescitur usurarum, tanto gravius super his Iudaeorum perfidia inolescit1 ita quod breui tempore christianorum exhauriunt facultates. Volentes igitur in hac parte prospicere christianis, ne a Iudaeis immaniter aggrauentur, synodali decreto statuimus ut si de cetero quocumque praetextu Iudaei a christianis graues et immoderatas usuras extorserint, christianorum eis participium subtrahatur donec de immoderato grauamine satisfecerint competenter. Vnde christiani,2 si opus fuerit, per censuram ecclesiasticam appellatione postposita compellantur ab eorum commerciis abstinere. Principibus autem iniungimus ut propter hoc non sint christianis infesti sed potius a tanto grauamine Iudaeos studeant cohibere. Hac3 eadem pena Iudaeos decernimus compellendos ad satisfaciendum ecclesiis pro decimis et oblationibus debitis, quas a christianis de domibus et possessionibus aliis percipere consueuerant antequam ad Iudaeos quocumque titulo devenissent, ut sic ecclesiae conserventur indempnes.4

Langue

Latin

Source du texte original

A. García García, ed., Constitutiones quarti Lateranensis una cum Commentariis glossatorum (Vatican, 1981), 106-107; G. Alberigo, et al., eds. Les conciles Œcuméniques: Les Décrits, vol. 2.1 (Paris, 1994), 265-66.

Datation

  • Date fixe : 1215
  • Précisions : 11, 20, 30 Novembre 1215

Traduction française

Plus la religion chrétienne se refuse à l'exaction de l'usure, plus la perfidie des juifs s'adonne à celle-ci, si bien que, en peu de temps, ils épuisent les richesses des chrétiens. Nous voulons donc en cela veiller à ce que les chrétiens ne soient pas terriblement accablés par les juifs. Aussi statuons-nous par un décret conciliaire que si à l'avenir par quelque prétexte que ce soit des juifs extorquaient aux chrétiens des prêts usuraires lourds et excessifs, tout commerce avec les chrétiens leur soit enlevé jusqu'à ce qu'ils aient donné entière satisfaction comme il convient pour les préjudices immodérés infligés. Au besoin, les chrétiens aussi seront contraints par censure ecclésiastique, et sans appel, de s'abstenir de tout commerce avec eux. Nous enjoignons aux princes de ne pas se montrer hostiles envers les chrétiens à cause de cela mais plutôt d'employer leur zèle à détourner les juifs d'une si grande oppression. Sous peine d'une même sanction, nous décrétons que les juifs doivent être contraints à s'acquitter envers les églises des dîmes et des offrandes qui leur étaient dues et qu'elles avaient l'habitude de percevoir de la part des chrétiens au titre des maisons et autres possessions avant que celles-ci, sous quelque titre que ce soit, ne soient passées entre les mains des juifs : ainsi les églises ne seront pas lésées.

Source traduction française

G. Alberigo, et al., eds., Les conciles œcuméniques : Les Décrets, vol. 2.1 (Paris, 1994), 265-266. (avec modifications)

Résumé et contexte

Émis lors du 4e concile de Latran en 1215 sous le pontificat d'Innocent III, le canon 67 est l'un des quatre canons qui portent sur les juifs et l'un des deux qui concernent l'usure. Il cherche à réduire le montant des intérêts que les juifs pouvaient exiger des chrétiens lorsqu'ils leur prêtaient de l'argent, afin que ce montant ne soit pas "lourd et excessif" — même si n'est jamais spécifié ce que serait un taux d'intérêt excessif. Le canon exige aussi des juifs qu'ils continuent à payer les dîmes et autres impôts ecclésiastiques sur les propriétés qu'ils avaient acquis auprès de chrétiens. Ce canon devait être appliqué au moyen de l'excommunication indirecte : on exigeait des chrétiens qu'ils renoncent à faire des affaires avec les juifs qui prenaient des intérêts trop élevés ou ne payaient pas les dîmes.

Signification historique

Alors que la loi canon avait longtemps interdit aux chrétiens d'exiger des intérêts lorsqu'ils accordaient des prêts à d'autres chrétiens sous couvert de leur propre loi chrétienne, les juifs furent autorisés à prêter à intérêt à des chrétiens et à d'autres non juifs ; ils exercèrent fréquemment ce droit dans l'Europe médiévale. Dès le début du XIIIe siècle, les autorités ecclésiastiques et séculières commencèrent à réguler l'usure des juifs. Ce canon fait écho aux préoccupations du Etsi non displiceat d'Innocent III (15 janvier 1204) et du Ut esset Cain (16 janvier 1207) et a son parallèle dans les mesures plus spécifiques introduites dans la France des Capétiens en 1206 pour limiter le montant des intérêts que pouvaient réclamer les juifs, fixer ce qu'ils pouvaient accepter par sécurité et déterminer les modalités de contraction d'un prêt. Comme ce canon repose sur des pénalités indirectes et sur la coopération des autorités séculières, son effet immédiat paraît avoir été négligeable ; il n'en coïncide pas moins avec le moment où la loi canon commence à empiéter sur les affaires internes au judaïsme (et à l'islam). Comme beaucoup de canons émis à Latran IV, le canon 67 fut intégré aux Décrétales, en tant que V.19, c. 18 et promulgué lors de synodes provinciaux. À compter du début du XIIIe siècle, les juifs deviennent étroitement associés à l'usure, ce qui soulève des questions sur la façon de disposer de la propriété ecclésiastique et sur la perte du revenu des églises au cas où les prêts viendraient à manquer, sur la mise en gages des objets sacrés, et sur le pouvoir que les juifs pouvaient exercer en tant que créditeurs. Le canon 67, les décrétales papales contemporaines et la législation séculière font des prêts accordés par les juifs quelque chose de nuisible et de dangereux pour les chrétiens et l'Église. Lorsque les monarchies française et anglaise interdirent par la suite aux juifs de prêter de l'argent puis les expulsèrent, ils utilisèrent une semblable rhétorique pour justifier leurs mesures.

Textes apparentés inclus dans le corpus

Manuscrits

  • Ann Arbor, University of Michigan Library, MS 52, fol. 42r-53v.
  • Aix-en-Provence, Bibliothèque Méjanes, MS 1683 (1548), fol. 3r-16v.
  • Bamberg, Staatsbibliothek, MS Patr. 13, fol. 80r-109v.
  • Cambridge, Pembroke College, MS 101, fol. 69r-81v.
  • Cologny-Genève, Fondation Bodmer, MS Bodmer 80, fol. 28r-42r.
  • Fulda, Landesbibliothek, MS D.14, 128r-144v.
  • Florence, Biblioteca Nazionale Centrale, MS Conv. soppr. da riordinare : Vallambrosa 36, 294r-307v.
  • Giessen, Universitätsbibliothek, MS 1105, fol. 47r-58v.
  • Lisbonne, Biblioteca Nacional, MS 173, fol. 1r-9v.
  • Londres, Lambeth Place, MS 210, fol. 130r-148v.
  • Londres, British Library, MS Cotton Vitell. A.II
  • London, British Library, MS Royal 5.E.xii, 73r-88v.
  • Lincoln, Chapter Library, MS 177, fol. 143r-155r.
  • Oxford, Bodleian Library, MS e Mus. 82 (S. C.: 3643), fol. 114r-120v.
  • Oxford, Merton College, MS B.I.7, fol. 29v-45r.
  • Rome, Archivio della Basilica Lateranense, MS A 70.
  • Rome, Biblioteca Casanatense, MS 1910, fol. 1r-15r.
  • Rouen, Bibliothèque municipale, MS 1232, fol. 69r-77v.
  • Tolède, Biblioteca del Cabildo, MS 15-26, fol. 1r-32r.
  • Zürich, Zentralbibliothek, MS Car. C 148, fol. 25r-47r.

Editions

  • Conciliorum omnium generalium et provincialium collectio regia, vol. 28 (Paris, 1644).
  • G. Alberigo, ed., Conciliorum oecumenicorum generalium, vol. 2: The Medieval General Councils, 869-1517 (Turnhout, 2008).
  • G. Alberigo, ed., Conciliorum oecumenicorum decreta (Basel-Freiburg, 1962).
  • S. Binius, ed., Concilia generalia et provinciala quaecumque reperiri potuerunt omnia, vol. 3.2 (Cologne 1606).
  • S. Binius, ed., Conciliorum omnium generalium et provincialium collectio regia, vol. 3 (Cologne, 1618).
  • N. Coleti, ed., Sacrosancta concilia ad regiam editionem exactam, vol. 13 (Venice, 1730).
  • P. Labbe & G. Cossart, eds., Sacrosancta concilia ad regiam editionem exacta, vol. 11.1 (Paris 1671).
  • P. Crabbe, ed., Conciliorum omnium tam generalium quam particularium a temporibus Agapeti papae usque ad Eugenium papam quartum, ex vetustissimis bibliothecis collectorum, vol. 2 (Cologne, 1538).
  • P. Crabbe, ed., Conciliorum omnium tam generalium quam particularium quae iam inde ab Apostolis in hunc usque diem celebrata ex vetustissimis diversarum regionum bibliothecis haberi potuerunt in tres nunc tomos ob recentem multorum additionem divisa, vol. 2 (Cologne, 1551)
  • E. Martène and U. Durnad, eds., Veterum scriptorum et monumentorum historicorum, dogmaticorum, moralium, amplissima collectio, vol. 7 (Paris, 1724; New York, 1968).
  • A. García García, ed., Constitutiones quarti Lateranensis una cum Commentariis glossatorum (Vatican, 1981).
  • G. Alberigo et al., eds., Conciliorum oecumenicorum decreta (Bologna, 1973).
  • J. Hardouin, ed., Acta conciliorum et epistolae decretales ac constitutiones Summorum Pontificum, vol. 7 (Paris, 1714).
  • J. D. Mansi, ed., Sacrorum Conciliorum, vol. 22 (Venice, 1778; Graz, 1960-1961).
  • Conciliorum generalium Ecclesiae Catholicae Pauli V pont. Maximi auctoritate, vol. 4 (Rome, 1612)
  • L. Surius, ed., Concilia omnia tam generalia quam provincialia atque particularia, vol. 3 (Cologne, 1567).

Traductions

  • R. Chazan, ed., Church, State, and Jews in the Middle Ages (West Orange, N.J., 1967), 197-98.
  • G. Alberigo & H. Jedin, eds., Conciliorum oecumenicorum decreta (Bologna, 1991).
  • G. Alberigo et al., eds., Les conciles œcuméniques : Les Décrets, vol. 2.1 (Paris, 1994).
  • H. J. Schroeder, ed., Disciplinary Decrees of the General Councils: Text, Translation and Commentary (St. Louis, 1937).
  • S. Grayzel & K. Stow, eds., The Church and the Jews in the XIIIth century (New York-Detroit, rev. ed., 1989).
  • N. Tanner, ed., Decrees of the Ecumenical Councils (London-Washington, D.C., 1990).
  • G. Sunnus & J. Wohlmuth, eds., Conciliorum oecumenicorum decreta, vol. 2: Konzilien des Mittelalters: Vom ersten Laterankonzil (1123) bis zum fünften Laterankonzil (1512-1517) (Paderborn, 2000).

Etudes

  • L. R. Beckum, The Fourth Lateran Council of 1215: Church Reform, Exclusivity, and the Jews (University of Kentucky, 2005).
  • R. Chazan, “Pope Innocent III and the Jews”, in J. C. Moore, ed., Pope Innocent III and his World (Aldershot, 1999), 187-204.
  • A. J. Duggan, “Conciliar law 1123-1215: The Legislation of the Four Lateran Councils”, in W. Hartmann and K. Pennington, eds., The History of Medieval Canon Law in the Classical Period, 1140-1234: From Gratian to the Decretals of Pope Gregory IX (Washington, D.C., 2008), 318-366.
  • R. Foreville & G. Dumeige, Les conciles de Latran I, II, III et de Latran IV : 1123, 1139, 1179, et 1215 (Paris, 2007).
  • W. C. Jordan, “Christian Excommunication of the Jews in the Middle Ages: A Restatement of the Issues”, Jewish History 1 (1986), 31-38.
  • R. Rist, “The Power of the Purse: Usury, Jews and Crusaders, 1198-1245”, in B. Bolton & C. Meet, eds., Aspects of Power and Authority in the Middle Ages (Turnhout, 2007), 197-213.
  • K. Stow, “Papal and Royal Attitudes toward Jewish Lending in the Thirteenth Century”, AJS Review 6 (1981), 161-184.
  • E. Synan, “The Church and the Jews after the Fourth Lateran Council (1215)”, in J. L. Schultz-Aldrich, ed., Truth is a Divine Name: Hitherto Unpublished Papers of Edward A. Synan, 1918-1997 (Amsterdam, 2010).
  • E. Tan, “Origins and Evolution of the Medieval Church's Usury Laws: Economic Self-Interest or Systematic Theology?” Journal of European Economic History 34.1 (2005), 263-281.
  • G. Todeschini, “'Judas mercator pessimus'. Ebrei e simoniaci dall'XI al XIII seculo”, Zakhor: Rivista di storia degli Ebrei d'Italia 1 (1997), 11-23.

Mots-clés

crédit ; usure

Auteur de la notice

Jessie   Sherwood

Collaborateurs de la notice

Laurence   Foschia  :  traduction

Laurence   Foschia  :  relecture

Comment citer cette notice

Notice n°30315, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»

Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait30315/.

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