Consuluit nos
Lettre à l’archevêque de Bourges en réponse à ses questions sur la possibilité pour les juifs d'avoir des serviteurs chrétiens et sur la construction de nouvelles synagogues.
Consuluit nos tua fraternitas, an sit appellationibus deferendum a carissimo in Christo filio nostro L(udovico) illustri Francorum rege pro judeis interpositis, ut christiana mancipia detinant et utrum sustinere debeas quod de novo construant sinagogas ubi eas nullatenus habuerunt. Scripsimus itaque memorato regi, ut a defensione judeorum in hac parte desistat. Super hoc etiam ipsum per alios fecimus admoneri et credimus quod moniti nostri acquiescet: quia non esset rectum ut quod a sanctis patris et nuper in concilio statutum est, negligenter servaret. Unde non convenit, ut pro huiusmodi appellationibus ab observatione decreti debeas abstinere. Judeos etiam de novo constituere sinagogas, ubi eas scilicet non habuerint, pati non debes. Verum si antiquitatis corruerint, vel ruinam minentur, ut raedificent potes aequanimiter tolerare. Non autem ut eas exaltent, aut ampliores aut pretiosiores faciant quam antea fuisse noscuntur. Quod utique pro magno habere debent, quod in veteribus synagogis et suis observantiis tolerantur.
J.D. Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio XXII, (Venezia 1778), p. 441.
Ta fraternité nous a demandé s’il faut s’incliner aux recours interposés par nôtre très bien-aimé fils en Christ Louis roi des Francs en faveur des juifs, afin qu’ils puissent avoir des serviteurs chrétiens, et aussi si tu dois soutenir qu’ils construisent de nouvelles synagogues où ils n’y avaient aucune. Nous avons déjà écrit audit roi afin qu’il cesse de défendre les juifs sur ce point. En fait, nous l’avons fait prévenir à ce sujet par d’autres et nous croyons qu’il a accueilli nos avertissements, parce qu’il n’est pas raisonnable de négliger ce qui a été établi par les saints pères et maintenant par le concile. Pour cette raison il n’est pas convenable que tu t’abstiennes de l’obéissance aux décrets en raison de ces recours ; et aussi tu ne dois pas permettre que les juifs construisent des synagogues nouvelles où il n’y avait pas. En réalité tu peux paisiblement tolérer qu’ils les reconstruisent si elles sont détériorées par l’ancienneté ou menacent de ruine, à condition qu’ils ne les reconstruisent pas plus hautes, ni plus vastes, ni plus précieuses qu’auparavant. Parce que, après tout, ils doivent être heureux qu’on leur permette même d’exercer leur culte dans leurs vielles synagogues.
L. Fois
Cette réponse à l’archevêque de Bourges (Guerin Gérard) est comprise dans la collection des décrétales connue comme Appendix concilii Lateranensis. Bien que dans les décrétales de Grégoire IX et dans les éditions anciennes du Troisième Concile du Latran cet Appendix soit considéré comme une partie effective des résolutions du concile, il est exclue des éditions modernes à cause de l’obscure tradition manuscrite. Cependant, la portée universelle des prohibitions contenues dans cette lettre a été reconnue par le Liber extra, où le texte fut utilisé dans deux chapitres : 2.28.29 sur l’impossibilité d’en appeler à un juge qui n’avait pas de compétence juridictionnelle sur une matière donnée, et 5.6.7 sur la construction de nouvelles synagogues.
Cette lettre nous informe que le roi de France avait essayé pour la deuxième fois d’en appeler au pape sur la possibilité pour les juifs d’avoir des serviteurs chrétiens et de bâtir de nouvelles synagogues, parce que le canon 26 du Troisième Concile du Latran l’avait mis dans une situation inconfortable. En fait, malgré des siècles de canons contraires, les privilèges octroyés aux juifs tout au long du XIIe siècle leur avaient garanti directement ou indirectement (en se référant généralement à la préservation des "bonnes mœurs" juifs) l’un et l’autre droit, et le roi ne pouvait (ou ne voulait) aisément renverser la coutume. Son insistance nous suggère que Louis espérait obtenir une dispense papale ou, au moins, il avait l’intention de demander à l’intransigeance du pape un changement de la coutume. Toutefois, au moins pour les synagogues, les préceptes papaux ont été ignorés, forçant le pape Honorius III à ordonner avec la bulle Pervenit ad audientiam (9 mai 1221) la destruction des nouvelles synagogues bâties dans la ville de Bourges.
Roi de France ; serviteurs ; synagogue
Notice n°272745, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait272745/.