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De iure iurando, es assaber: De la fuerça et de la manera en que deue ser dada la iura[Vidal Mayor, Book III, Paragraph 55, folio 128v]

Auteur

Vidal de Canellas

Titre en français

Prêter serment

Titre descriptif

Les échanges de serment entre chrétiens, musulmans et juifs en Aragon médiévale

Type de texte

fuero

Texte

Sj el iudío o moro demandare VI dineros o menos del cristiano et esto non podiere prouar, el cristiano qui niega esto deue iurar por la cabeça de I cristiano que non deue aqueillo que li es demandado, et si VII dineros o más son demandados, deue el cristiano iurar por su cabeça que esto non deue, et si más de XII dineros contiene la demanda del iudío o del moro, el cristiano es quito iurando sobre libro et la crutz que non los deue. Et si del cristiano o iudío fiziere demanda sobre quoal quiere suma al moro et no ha prueua contra eill, deue ser quito el moro iurando sobre baylle ylloe. Et si el cristiano o el moro fiziere demanda al iudío sobre suma de XII dineros o menos et no ha prueua contra eill, el iudío contra qui es feita la demanda iure por la ley de Moysén que non deue lo que li es demandado, et si la demanda es oltra de la suma antedita, el iudío deue ser constreynnido de fazer la iura con sollempnidat, segunt los iudíos suelen iurar, la mayor iura que eillos fazen. Et la forma de la iura demanda en la fin d'este uolumpne, [e] faillarás.

Langue

Aragonais

Source du texte original

Vidal Mayor, Liber III (Paragraph 55), folio 128v

Datation

  • 13ème siècle
  • Précisions : Il est généralement admis à ce jour que ce texte date de la deuxième moitié du XIIIe siècle. Le terminus post quem serait 1252, l'année où Canellas Vidal meurt.

Aire géographique

Traduction française

Si un juif ou un musulman exige VI deniers ou moins d'un chrétien, ce qu'il [le juif ou le musulman] ne peut pas prouver, le chrétien qui nie cela doit jurer sur la tête [c’est à dire, la vie] d’un chrétien qu'il ne doit pas ce qui [lui] est exigé ; et si VII deniers ou plus sont demandés, le chrétien doit jurer sur la tête qu'il ne les doit pas ; et si la demande du juif ou du musulman est de plus de XII derniers, le chrétien est acquitté en jurant sur le livre et la croix qu'il ne lui devait pas. Et si un chrétien ou un juif fait une demande pour n’importe quel montant à un musulman et n’a pas de preuve contre lui, le musulman doit être acquitté en jurant sur baylle ylloe. Et si un chrétien ou un musulman fait une demande à un juif pour un montant de XII deniers ou moins et n’a pas de preuve contre lui, le juif contre qui la demande est faite [doit] jurer sur la loi de Moïse qu'il ne doit pas ce qui est exigé de lui ; et si la demande est autre que le montant susmentionné, le juif doit être contraint de prêter le serment solennel, comme il est d'usage chez les juifs, le plus grand serment qu'ils font. Et regardez pour la formule du serment à la fin de ce volume, [et] vous le trouverez.

Source traduction française

Youna Masset

Résumé et contexte

Déjà à la fin du XIe siècle, il existe des preuves dans la tradition juridique aragonaise d'un effort pour réglementer l'échange de serments entre chrétiens, musulmans et juifs en tant que mécanisme permettant d'établir la preuve judiciaire. Dans la plupart des textes juridiques, la formule de serment variait en fonction de la somme d'argent en cause dans le différend. Par conséquent, si un défendeur chrétien niait qu'il (ou elle) devait six dineros à un juif ou à un demandeur musulman, il devait jurer sur la tête d'un autre chrétien (ou la sienne si la dette allait jusqu'à douze dineros) qu’il acquittera cette charge. Cependant, un serment plus solennel a été nécessaire pour les défendeurs chrétiens dans les costumes pour les cas de plus de douze dineros. De même, alors que les accusés juifs étaient tenus de "jurer sur la loi de Moïse" dans les litiges concernant douze dineros ou moins, un serment solennel plus grand était exigé si la dette dépassait ce montant. Contrairement aux défendeurs chrétiens et juifs, les musulmans accusés avaient une formule unique de serment quel que soit le montant en cause. Dans ce manuscrit il était question de la formule frappante “baylle ylloe.” Le manuscrit appelé Vidal Mayor est une traduction du latin en Romance d'une compilation de fueros aragonais qui a été rédigée suite à l'assemblée générale 1247 (general cort) de Huesca. Son auteur était Vidal de Canellas, évêque de Huesca-Jaca et diplômé en droit romain et canonique de Bologne. Contrairement à d'autres versions existantes de la compilation de 1247, le Vidal Mayor contient non seulement les fueros mais aussi, plus important encore, un commentaire érudit et didactique de Vidal de Canellas qui clarifie et élargit les significations et utilisations des fueros afin d'aider les juges et les avocats dans leur application. Le Vidal Mayor existe en un seul exemplaire daté de la seconde moitié du XIIIe siècle et conservé aujourd'hui dans le J. Paul Getty Museum de Los Angeles.

Signification historique

Administrer la justice sur des membres de diverses religions pose un défi fondamental de compétence aux juristes de l’Espagne chrétienne de la fin du Moyen Âge. Bien que les monarques eurent tendance à accorder à ces minorités religieuses le privilège d'être jugées selon leurs propres lois et leurs propres juges, le contact quotidien entre chrétiens, musulmans et juifs a conduit à de fréquents conflits de compétence. La codification des échanges de serment interconfessionnel illustre comment les législateurs chrétiens ont tenté de faire face à ces tensions. Il témoigne aussi de la préoccupation des dirigeants pour s’assurer du bon fonctionnement du système de justice, en dépit de, ou précisément à cause de, ces différences de croyance et dans le respect du système juridique de leurs sujets. Prêter serment était un mécanisme important pour l'établissement de la preuve dans les documents médiévaux –chrétiens et musulmans- surpassant en importance les documents écrits pour la plupart de la période. Dans l’Espagne chrétienne, la codification des serments interconfessionnels montre que les législateurs ont reconnu, et dans une mesure respecté, les croyances religieuses des sujets musulmans et juifs, même si le cadre dans lequel leurs serments ont été insérés était chrétien. Par exemple, dans la Couronne d'Aragon, les musulmans défendeurs furent obligés, de plus en plus, de prêter leurs serments tout en « touchant physiquement » un exemplaire du Coran. Bien que cette disposition n’était pas sans précédent dans les territoires musulmans, il n’était pas exigé par la loi islamique ; dénotant ainsi d’une acculturation aux pratiques chrétiennes (“tactis corporaliter…evangeliis”). Les formules de serment juif faisaient partie d’une longue tradition dans les textes juridiques ibériques, certaines remontant aussi loin que les capitulaires carolingiens. Ces formules étaient souvent longues et alambiquées, envisagées comme un dialogue dans lequel un interlocuteur/défendeur juif était sondé sur sa (ou ses) croyance par un demandeur, sans doute chrétien. Ces serments sont généralement suivis par toute une série de longues imprécations pour conjurer le parjure. Un exemple avec le manuscrit des Fueros d'Aragon. 458 de la Biblioteca Nacional de Madrid, dans lequel ce serment (y compris les Malédictions) occupe trois feuillets entiers dans octavo. Compte tenu de la longueur et de la difficulté de ces passages, il n’est pas surprenant qu'ils n’apparaissent que dans quelques manuscrits juridiques, souvent ajoutés à la fin du codex. Cela explique la fin énigmatique de ce fuero dans le Vidal Mayor : "Et regardez pour la formule du serment [juif] à la fin de ce volume, [et] vous le trouverez." Une promesse non tenue car il s’avère qu’il n’existe pas une telle formule à la fin du manuscrit. Beaucoup plus fréquente fut l'inclusion de formules de serments musulmans dans les textes juridiques aragonais en particulier. Contrairement à la juive, la musulmane était concise, comprenant seulement quelques mots et ne dépassant pas une phrase (“baylle ylloe” dans le Vidal Mayor). La caractéristique frappante de ces mots est qu'ils ont été écrits en arabe mais en caractères latins. Bien que les formules varient considérablement dans les sources, les chercheurs, dans une sorte de consensus, représentent un rendu phonétique du serment en arabe standard qui est communément transcrit comme “bi-l-Lāhi-lladhī lā ilāha illā Huwa” (par Dieu, il n'y a pas de dieu que Lui). Par exemple, la formule “baylle ylloe” représente très probablement un abrégé de la formule arabe standard, baylle signifiant “bi-l-Lāhi” et ylloe pour “illā Huwa,” avec les mots entre (“al-ladhī lā ilāha”) qui ont été élidés. Pendant plus de trois siècles, les législateurs et les scribes, en particulier en Aragon et Valence, ont toujours choisi de reproduire les serments musulmans en arabe sans tenter de les remplacer par une version en romance, comme ce fut le cas de la législation castillane, en particulier le Siete Partidas. Même si à partir des XVe et XVIe siècles les interactions interculturelles ont été de plus en plus considérées comme suspectes, la langue arabe est restée un marqueur culturel (et juridiquement valide) de la population musulmane, la médiation de l'interaction juridique entre gouvernants et gouvernés par des échanges de serment ouvrant le chemin vers la période moderne.

Manuscrits

  • Los Angeles, The J. Paul Getty Museum, Ms. Ludwig XIV 6

Editions

  • G. Tilander, ed., Vidal Mayor: Traducción aragonesa de la obra In Excelsis Dei Thesauris de Vidal de Canellas (Lund, 1956)
  • M. de los Desamparados Canabes Pecour et al., eds., Vidal Mayor: Edición, introducción y notas al manuscrito (Zaragoza, 1996)

Etudes

  • C. Barceló, Minorías islámicas en el país valenciano: historia y dialecto (Valencia: Universidad de Valencia, 1984).
  • J. Boswell, The Royal Treasure: Muslim Communities under the Crown of Aragon in the Fourteenth Century (New Haven and London: Yale University Press, 1977).
  • R. I. Burns, Islam under the Crusaders, Colonial Survival in the Thirteenth-Century Kingdom of Valencia (Princeton: Princeton University Press, 1973).
  • F. Corriente, “A vueltas con las frases árabes y algunas hebreas incrustadas en las literaturas medievales hispánicas,” Revista de filología española LXXXVI, no. 1 (2006), 105–26.
  • A. García García, “Los juramentos e imprecaciones de los Usatges de Barcelona,” Glossae: Revista de historia del derecho europeo 7 (1995), 51-79.
  • G. Tilander, Los Fueros de Aragón según el manuscrito 458 de la Biblioteca Nacional de Madrid (Lund: C.W.K. Gleerup, 1937), 66-68 (footnote 138), 204-208.
  • B. Vicens, “Swearing by God: Muslim Oath-Taking in Late Medieval and Early Modern Christian Iberia,” Medieval Encounters 20, no. 2 (2014), 117–51.

Mots-clés

Juifs/Judaïsme ; musulmans ; procès ; serment

Auteur de la notice

Belen   Vicens

Collaborateurs de la notice

Youna   Masset  :  traduction

Comment citer cette notice

Notice n°254560, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»

Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait254560/.

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