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Constitutiones editas per illustrissimum dominum regem Petrum tertium in generali curia Perpiniani[38]

Auteur

Cort general de Perpinyà

Titre en français

Constitutions publiées par le très illustre seigneur roi Pierre III à la Cour Générale de Perpignan

Titre descriptif

Interdiction faite aux juifs de couper et vendre de la viande dans les boucheries chrétiennes

Type de texte

constitution et interprétation

Texte

Ordinamus eciam quod nullus iudeus per se vel alium audeat scindere vel vendere carnes in carniceriis ubi carnicerii christiani scindunt et vendunt carnes, sed in locis alibi separatis, et qui contrafecerit in sexaginta solidos Barchinone puniatur.

Langue

Latin

Source du texte original

Real Academia de la Historia, Cortes de los antiguos reinos de Aragón y de Valencia y principado de Cataluña, tomo I, parte 2, Madrid, 1896, 396-397.

Datation

  • Date fixe : 1351

Aire géographique

Traduction française

Nous ordonnons aussi qu’aucun juif, pour lui-même ou pour un autre, ose couper ou vendre de la viande dans les boucheries où les bouchers chrétiens coupent et vendent de la viande, mais dans d'autres lieux séparés, et que celui qui fera le contraire soit puni à 60 sous de Barcelone.

Source traduction française

J. X. Muntané Santiveri

Résumé et contexte

Quelques Cours Générales tenues pendant le règne de Pierre III furent particulièrement longues (plus d’un an). 1 La Cour de Perpignan, convoquée pour le 1er Septembre 1350, commença le lendemain de cette date au Palais royal de la ville et elle dura jusqu’au 14 Mars 1351, avec un changement de lieu, dans un monastère de la ville appartenant aux frères mineurs.

38 constitutions furent adoptées tout au long de cette Cour. Près de la moitié furent consacrées à des questions liées à l'administration, la justice et la sécurité publique, tandis que l'autre moitié tournait autour de l'économie. Ce ratio est également maintenu dans les six constitutions sur les juifs : trois d'entre elles concernent l'application de la justice et de la sécurité publique et le reste, aux affaires économiques.

1 . R. Conde; A. Hernández; S. Riera; M. Rovira, « Fonts per a l’estudi de les Corts i els Parlaments de Catalunya. Catàleg dels processos de Corts i Parlaments », Les Corts a Catalunya. Actes del Congrés d’Història Institucional. 28, 29 i 30 d’abril de 1998, Barcelone, Generalitat de Catalunya, Departament de Cultura, 1991, 28-35.

Signification historique

Avec cette constitution, la dernière concernant les juifs, de Perpignan, on voulait établir une séparation claire entre les boucheurs chrétiens et les juifs en proposant, sous peine pécuniaire en cas d'infraction, un emplacement différent pour les uns et les autres.

Dans ce cas, le lieu et la date sont assez importants. D'un côté, ce fut à partir du second tiers du XIVe siècle qu'augmenta considérablement le nombre de villes catalanes ayant une communauté juive qui, dans leurs ordonnances locales, interdirent aux membres de ces communautés de toucher avec les mains les aliments mis en vente sur le marché et dans les commerces. 1 D'un autre côté, Perpignan, en 1299, fut une des premières parmi ces municipalités qui interdirent un tel contact physique. 2

Toutefois, la constitution de 1351, qui fait écho à cet état d’âme, ne s'applique pas aux aliments en général, mais uniquement à la viande, en particulier à celle des bovins et du petit bétail, qui était ce que l'on vendait dans les boucheries. Comme le processus associé à l'obtention et la consommation de ce type d'aliment étaient fortement réglementés par la normative religieuse juive, le plus probable fut que la viande devînt, aux yeux des législateurs chrétiens, le symbole par excellence de la séparation qui devait exister entre chrétiens et juifs.

En plus, un des éléments de ce processus qui, tout au long du Moyen Âge, provoqua un grand nombre de conflits entre les représentants civils de la majorité chrétienne, les bouchers chrétiens et les juifs en charge de l'approvisionnement de la communauté juive, fut le destin qu’on donnait à la viande « terefà », c'est à dire, la viande des animaux abattus et dépecés par les juifs qui, puisque elle ne remplissait pas les conditions nécessaires fixées par la loi juive pour être consommée, était rejetée. Lorsque cela se produisait, les clients chrétiens étaient les seuls à qui on pouvait vendre cette viande, mais cela, aux yeux des autorités chrétiennes, représentait un « gran menyspreu » qu'il fallait éviter. 3

Les moyens pour parvenir à interdire cette pratique furent de plusieurs ordres. L'un d'eux, justement celui contenu dans cette constitution, consistait à maintenir séparées les boucheries des uns et des autres pour éviter que la viande rejetée par les juifs puisse être mélangée avec celle des chrétiens. A cette séparation, alors qu'elle ne pouvait pas être réalisée dans des bâtiments différents, Uniquement les communautés juives importantes avaient leurs propres tables de bouchers dans leur quartier, et non pas les plus petites communautés qui s'approvisionnaient à la boucherie municipale. Ainsi, les conseilleurs de Gérone décidèrent de mettre les étales pour la viande abattue par les juifs dans la poissonnerie, G. Escribà ; M. P. Frago, Documents dels jueus de Girona (1124-1595), 28, doc. 340 (1353) ; 212, doc. 767 (1396). On pouvait aussi essayer d'éviter ces échanges en assignant des tables séparées pour ceux qui vendaient la viande abattue pour les juifs. Lors d'occasions spéciales, comme dans les jours de forte affluence de personnes étrangères à la ville et qui ne savaient donc pas quels étales appartenaient aux juifs, on leur demander de les signaler avec un signe distinctif, J. X. Muntané, Fonts per a l’estudi de l’aljama jueva de Tàrrega. Documents i regesta, 59-61, doc. 147.2 (1343). D'autres formes consistaient à interdire aux juifs de tuer et d'écorcher leurs animaux dans les abattoirs, les boucheries ou les maisons des chrétiens 4; limiter le nombre d'animaux qu’ils pouvaient abattre,5 ou obliger à vendre cette viande à un prix inférieur à celle des chrétiens.6

1 . Le pain, les fruits et le poisson ne pouvaient être touchés par les juifs qu’une fois achetés. Des dispositions semblables sont établies pour les prostituées et les proxénètes, J. Riera, « La conflictivitat de l’alimentació dels jueus medievals, segles XII-XV », Alimentació i societat a la Catalunya medieval, Anuarios de estudios medievales : Anejo, 20 (1988), 300-302 : municipes de Manresa (1338), Tàrrega (1347), Lleida (1350), Solsona (1434), Tortosa (1443) ; G. Escribà ; M. P. Frago, Documents dels jueus de Girona (1124-1595), Gérone, 1992, 220-221, doc. 806 et 807 (1407) ; J. X. Muntané, « L’alimentació a l’aljama medieval de Tàrrega », Urtx, 22 (2008), 109-110 (1343, 1347), 118-119 (1341, 1343, 1347).

2 . J. Riera, « La conflictivitat de l’alimentació dels jueus medievals, segles XII-XV », 300.

3 . Ceci se trouve spécifié dans la régulation de Tortosa de 1386, dans laquelle, d'ailleurs, était prescrite une amende de 100 sous et inhabilité perpétuelle à exercer son métier pour le boucher qui vendit de la viande « trufanes » aux chrétiens E. Mateu, « Marginació i segregació de la minoria jueva a les comarques tarragonines : de finals del segle XIII fins a l’expulsió », 51. En outre, le fait que les animaux abattus fussent examinés par le juif en charge de contrôler la bonne réalisation de l'abattage qui introduisait ses mains à l'intérieur de la bête morte, fut également considéré comme une « cosa de no conportar e asats abominable », J. X. Muntané, Fonts per a l’estudi de l’aljama jueva de Tàrrega. Documents i regesta, Barcelone, 2006, 146-147, doc. 359 (1445). Parmi les accusations qu'en 1420 un prédicateur adressa aux habitants de Cervera pour les « greus peccats e abominacions qui·s fan continuament en aquesta vila », était mentionné que les juifs abattaient les animaux publiquement dans la boucherie de la ville et puis introduisaient « les sues leyes mans » dans l'animal mort pour vérifier s'il était consommable, et si ce n'était pas le cas, le frère prêcheur dénonçait que les juifs « lexen aquelles carns per ells manejades e palpades dients : ‘menjen les so los cans, car nosaltres no·n volem’ ; e aço en gran injuria e desonor de tota cristiantat », A. Duran, Referències documentals del call de Juhéus de Cervera, Barcelone : Imp. « Atlas Geográfico », 1924, doc. III, 58 (1420). Dans le commentaire que T. Mieres fait à cette constitution il fonde l’interdiction de manger la viande « trufa », en s’appuyant sur une étymologie populaire de ce mot : « bonum non est, quasi sit mendacium iocosum, et quandoque illud dicitur burla », Apparatus super constitutionibus curianum generalium Cathaloniae, Barcinonae: typis & aere Sebastiani à Cormellas, 1621, 376.

4 . Avec des amendes jusqu’à 50 sous pour le juif pour une bête abattue, E. Mateu, « Marginació i segregació de la minoria jueva a les comarques tarragonines : de finals del segle XIII fins a l’expulsió », 51 ; G. Escribà ; M. P. Frago, Documents dels jueus de Girona (1124-1595), 212, doc. 766 et 767 (1396).

5 . Dans la ville de Tàrrega, en 1445, le gouvernement municipal limita le nombre d'animaux à abattre par les juifs à un par table. Cette règle ralentissait la présence de viande « terefà » dans le marché, mais en même temps mettait en péril l'approvisionnement de viande pour la communauté juive, J. X. Muntané, Fonts per a l’estudi de l’aljama jueva de Tàrrega. Documents i regesta, 146-147, doc. 359 (1445.

6 . Le prix stipulé était d’habitude d’un denier de moins par livre. Les pertes que ces prix causaient aux bouchers semblaient agir comme un facteur de pression assez important puisqu'à certains moments ils refusaient de vendre des animaux aux juifs. Ce fut peut-être la raison du comportement d'un boucher de Tàrrega qui, en 1435, refusa de livrer un mouton à un juif pour qu’il l’égorgeât, J. X. Muntané, Fonts per a l’estudi de l’aljama jueva de Tàrrega. Documents i regesta, 118-119, doc. 319 (1435) ; J. X. Muntané, « L’alimentació a l’aljama medieval de Tàrrega », 112-113 ; ou peut-être ceci fut le motif pour lequel le conseil du village de Bellpuig s’opposât au fait que les juifs abattissent un des deux bœufs qu’on abattait pendant la journée de Saint-Barthélemy, patron des bouchers, J. X. Muntané, « L’alimentació a l’aljama medieval de Tàrrega », 126-127, doc. 7 (1475). Quoi qu'il en soit, si pour éviter les pertes économiques, les bouchers violaient la règle et mélangeaient les viandes, alors ils risquaient des amendes beaucoup plus élevées. Exceptionnellement, à Tàrrega, il existe un moment où le gouvernement municipal fixa le même prix-là pour la viande juive « terefà » et « cacher », ce qui mit la communauté juive dans une position extrêmement critique, soit parce que les chrétiens achetaient toute sa viande, soit parce que les bouchers refusaient de leur en fournir pour éviter les pertes économiques. Le résultat de cette politique de prix fut que « ne iudei possent habere de carnibus antedictis ». Le roi Pierre III dut intervenir en annulant le règlement du gouvernement municipal, A. Rubió i Lluch, Documents per l'història de la cultura catalana mig-eval, Barcelone : Institut d'Estudis Catalans, 1908, vol. 1, 83-84, doc. 84 (1347).

Textes apparentés inclus dans le corpus

Etudes

  • J. X. Muntané, « L’alimentació a l’aljama medieval de Tàrrega », Urtx, 22 (2008), 106-127
  • J. X. Muntané, Fonts per a l’estudi de l’aljama jueva de Tàrrega. Documents i regesta, Barcelona: PPU, 2006.
  • J. Riera, « La conflictivitat de l’alimentació dels jueus medievals, segles XII-XV », Alimentació i societat a la Catalunya medieval, Anuarios de estudios medievales : Anejo, 20 (1988), 295-311.
  • F. Sabaté, « L'ordenament municipal de la relació amb els jueus a la Catalunya baixmedieval», F. Sabaté; C. Denjean (eds.), Cristianos y judíos en contacto en la Edad Media: Polémica, conversión, dinero y convivencia. Reunión científica en Girona (20-24 de enero de 2004), Lleida: Ed. Milenio, 2009, 733-804

Mots-clés

alimentation ; amende ; boucherie ; interdiction ; Juifs/Judaïsme ; séparation ; viande

Auteur de la notice

Josep Xavier   Muntane Santiveri

Collaborateurs de la notice

Youna   Masset  :  relecture -corrections

Adam   Bishop  :  relecture -corrections

Comment citer cette notice

Notice n°252412, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»

Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait252412/.

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