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Constitutiones Curie Barcinone[25]

Assemblée

Cort General de Barcelona

Titre en français

Constitutions de la Cour de Barcelone

Titre descriptif

Effets de la conversion au christianisme des esclaves sarrasins des juifs

Type de texte

constitution et interprétation

Texte

Item statuimus quod sarraceni judeorum si babtizentur remaneant liberi dando redemcionem pro se, ut jura volunt et est fieri consuetum.

Langue

Latin

Source du texte original

Real Academia de la Historia, Cortes de los antiguos reinos de Aragón y de Valencia y principado de Cataluña, tomo I, parte 1, Madrid, 1896, 148

Datation

  • Date fixe : 1283

Aire géographique

Traduction française

De même nous décrétons que si les Sarrasins des juifs se baptiseront, ils restent libres et francs en donnant rachat pour eux, tel que les lois disposent et qu'il est accoutumé de le faire.

Source traduction française

J. X. Muntané Santiveri

Résumé et contexte

Pendant la Cour Générale qui se réunit à Barcelone à la demande de Pierre II le Grand à la fin de l'année 1283, les prélats, les nobles et les représentants des villages et des villes de la Principauté tirèrent profit de la situation délicate dans laquelle le monarque se trouvait. Ainsi contre leur aide pour repousser la croisade lancée par le pape Martin IV contre le roi , ils obtinrent son approbation sur un sujet qui, à partir de ce moment-là, devint l'un des éléments clés de la législation catalane : le pacte. On peut lire dans l’accord –rédigé à la première personne– que si le roi « vel successores nostri constitucionem aliquam generalem seu statutum facere voluerimus in Catalonia, illam vel illud faciamus de approbacione et consensu prelatorum baronum militum et civium Catalonie » (const. 9). Ces mots constituent l’acte de naissance d’un modèle de législation qui résultait d'un consensus entre le comte-roi et les représentants de la société et qui, précisément à cause de cela, la loi ne pouvait uniquement émaner des assemblées dans lesquelles se réunissaient toutes ces entités : la « cort » (mot catalan) o « curia generalis ». Les constitutions approuvées de commun accord dans ces assemblées générales étaient valables dans tout le territoire catalan et même l’activité légale du comte-roi leur était subordonnée.

Dans la plupart des « corts » qui eurent lieu avant 1283 tous les représentants de la société n’y étaient pas et la possibilité de légiférer tous ensemble n’était pas considérée : c’était le monarque qui exerçait ce droit de manière exclusive et personnelle. Malgré cela, une grande partie de la législation antérieure fut adoptée dans des assemblées postérieures à 1283 et devint une partie à part entière du système juridique catalan.

Parmi les cinquante constitutions approuvées l’an 1283, seulement trois font référence à la minorité juive : la 15, la 25 et la 42. La première est une simple ratification de la loi approuvée en 1241 par Jacques I sur le crédit juif ; les deux autres légifèrent sur la propriété mais sous des angles différents : la constitution 25 se réfère aux esclaves sarrasins des juifs, tandis que la 42 s’occupe des seigneurs des juifs.

Signification historique

Dans la constitution 25, la Cour générale de 1283 disposa que la condition des esclaves sarrasins des juifs qui se convertissaient au christianisme fut celle d’hommes et de femmes entièrement libres. Nous sommes devant une législation aux vues prosélytes. 1 Toutefois, le simple fait qu’on ait dû légiférer sur cela indique peut-être que, malgré les lois et les coutumes existantes, on ne réagissait pas toujours ainsi. En effet, seulement cinq ans après, le successeur de Pierre le Grand, Alphonse II ordonnait à son procureur du royaume de Majorque qu’il ne s’appropria pas les esclaves sarrasins des juifs baptisés (« pus que batajats son, no tornen en servitut »), avec l’argument que ce faisant, on allait « contra us e contra costuma » ; 2 un siècle plus tard, le comportement du monarque était tout autre : l’année 1372 Pierre III ordonnait à son procureur du royaume de Majorque qu’il vendit, pour un temps limité, les esclaves des juifs, convertis à la foi catholique, parce que, grâce a un ancien privilègeper un privilegi e estatut antich »), les baptisés avaient cessés d’appartenir aux juifs pour devenir propriété royale. 3

La deuxième partie de cette constitution rappelle que, de manière générique, la nouvelle condition de l’affranchi était conditionnée par le paiement d’un rachat « ut jura volunt et est fieri consuetum ». En 1252 Jacques I énonça un montant de 12 morabetins ou maravédis comme étant la somme que chaque affranchi devait payer au bayle royal de Majorque s'il prenait le baptême pendant une période de l'année qui ne coïncidait pas avec Pâques, la Pentecôte ou Noël. 4 En 1277, Pierre II disposa que le montant à payer fut de 12 morabetins d’or alphonsins, « cum plus valeant aurei Alfonsini […] quam morabotinorum ». 5

En s’inspirant du droit civil et canonique, Pierre II spécifia des manières différentes pour affranchir/racheter l’esclave : si un juif acquérait un Sarrasin comme une marchandise 6 et, dans les trois mois après la date d'achat, il le mettait en vente. Mais, dans le cas où à ce moment là l’esclave manifestait son désir de conversion au christianisme ou bien il avait déjà reçu le baptême, la somme qu'il devait payer à son maître était de 12 morabetins d’or alphonsins. Par ailleurs, si l’esclave sarrasin avait été acquis en tant que serviteur, 7 mais pendant les trois mois après son achat il manifeste son désir de devenir chrétien ou bien il avait déjà été baptisé, alors il devait payer à son maître que la somme mentionnée. Mais s'il ne pouvait pas, le bayle, le justicier ou le portier royal devaient le vendre à un chrétien et du montant de la vente devait être rendu à son maître les 12 morabetins d’or alphonsins (cela étant possible si l’argent résultant de la vente était supérieur à ce chiffre, dans le cas contraire toute la somme de la vente devait être rendue au maître juif ; 8 encore, une dernière clausule châtiait le refus du maître juif à mettre en vente, pendant les trois mois indiqués, l’esclave qui manifestait son désir de recevoir le baptême, avec une libération gratuite de celui-là.

Malgré ces dispositions, la difficulté de récupérer l'argent investi dans l'acquisition d'un esclave expliqua que, dans quelques occasions, on faisait croire que son propriétaire était un chrétien, avec lequel le juif s’était mis d’accord (et avec un notaire aussi) parce qu’au moment de faire le contrat, le Sarrasin reste convaincu que s’il se trouvait au service d’un juif cela n'était possible que grâce à l’accord que celui-ci avait établi avec son « maître » chrétien. 9

1 . Nous sommes loin du privilège de 1090 que Henry IV accorda aux Juifs de Worms et de Spire selon lequel si à l'occasion du prosélytisme chrétien, l’esclave païenne d'un juif se convertie au christianisme, non seulement son propriétaire juif avait le droit à une indemnisation, mais l'esclave continuait d'être à son service, B Blumenkranz, Juifs et Chrétiens, 337. En plus de l’esprit missionnaire chrétien, les esclaves furent l'objet aussi du prosélytisme juif, bien que celui n'était pas toléré dans les domaines du comte-roi catalan : en 1385 Pierre III dénonçait que des juifs de Majorque avaient converti deux esclaves au judaïsme : « en derrisio de la lig xristiana han feta juhia una tartre e dat marit juheu. Han feta una mora juhia e cerquen de dar li marit juheu », A. Rubió i Lluch, Documents per l'història de la cultura catalana mig-eval, Barcelona : Institut d’Estudis Catalans, 1908-1921, vol. 2, doc. 293 (1385) ; A. Y. Finkel, The Responsa Anthology, Northvale : Jason Aronson, 1990, 21, resp. 1 : 99 de rav Xelomó ben Adret (1235-1310), sur l’esclave d’un juif qui se convertit au judaïsme suite au conseil d'un autre juif.

2 . Selon le monarque, les esclaves baptisés des juifs n'avaient jamais « fet servitut a nos ne als antecessors nostres », A. Pons, Los judíos del reino de Mallorca durante los siglos XIII y XIV, Palma de Mallorca: Miquel Font, 1984, II, 212, doc. 14 (1288). Cependant, dans un document précédent, Jacques I avait déclaré que les esclaves sarrasins des juifs qui se convertiraient au christianisme « sint nostre », mais cela ne leur permettrait pas d'échapper à certaines obligations envers leurs maîtres antérieurs, tel que le monarque le décide en faveur des juifs : les esclaves baptisés « renuntient ad opus vestri [des juifs] et vestrorum », A. Pons, Los judíos del reino de Mallorca, vol. 2, 206, doc. 6 (1273).

3 . La destination de l’argent obtenu de la vente des esclaves baptisés était très diverse, l’année 1372 il devait servir à l'ameublement liturgique de la chapelle royale du château de Majorque, A. Pons, Los judíos del reino de Mallorca, vol. 1, 247-248, doc. 58 (1372). Une constitution canonique de l’Église de Majorque s’opposait ouvertement à cette pratique : « que negun hom ni fembra no compren a temps ni per tots temps negun catiu ni cativa, que sia stat de jueu o juia, qui es sia batejat, ni el prenga en comanda per negun titol per ma de negun oficial reyal ni d’altra persona », A. Pons, Los judíos del reino de Mallorca, vol. 1, 247, doc. 57 (1371).»

4 . Dans cette stipulation, qui se trouve dans un privilège octroyé par Jacques I aux juifs de Majorque, le monarque renonce (il ne faut pas oublier que la quantité que l’esclave sarrasin converti au christianisme devait payer au bayle royal était « ad opus nostri », c’est-à-dire, pour le roi) à cette quantité pendant les périodes fortes de l’année liturgique chrétienne, J. L. Villanueva, Viage literario á las Iglesias de España, Madrid: Impr. De la Real Academia de la Historia, 1852, vol. 22, 330-331 (1252). Le chiffre est d'abord mentionné dans le concile de Mâcon (583), alors que le prix par lequel le vendeur chrétien devait réacquérir l’esclave chrétien qu’il avait vendu à un juif, fut fixé à 12 sous. Ce montant resta invariable, sans rapport avec la valeur réelle du marché de l’esclave chrétien, dans les divers conciles ecclésiastiques qui, tout au long du Haut Moyen Âge, légiférèrent sur ce sujet, B. Blumenkranz, Juifs et Chrétiens, 335. Après cela, on opta pour ajuster ce montant à la monnaie qu’on considérait comme la plus pratique, tel que le fit Jacques I en 1252 avec l’adoption du morabetí dont la valeur oscillait entre huit et onze sous.

5 . En effet, le morabetí d’or équivalait à 12 sous, J. Pellicer, « La “quiebra del maravedí de oro”, finalizando el reinado de Fernando III (1217-1230/1252) », Documenta & Instrumenta, 6 (2008), 238. Ce document fut rédigé par Pierre II à l'initiative des juifs, qui se plaignaient de la conversion intéressée de leurs esclaves sarrasins au christianisme (« ipsis ignorantibus et invitis baptismum suscipiunt »), afin qu’ils ne se trouvassent pas sans esclaves ni sans leur véritable valeur (« ne servis careant et precio eorumdem »), J. Régné, History of the Jews in Aragon : regesta and documents 1213-1327, Jérusalem : Magnes Press & Hebrew University, 424-425, doc. XI (1277).

6 . Un nombre considérable de marchands catalans du Moyen Âge étaient engagés dans le commerce d'esclaves sarrasins ; si on les compare avec les chrétiens, la présence de marchands juifs fut toutefois marginale, O. Remie, « Muslim Spain and Mediterranean slavery : the medieval slave trade as an aspect of Muslim-Christian relations », en S. L. Waugh ; P. D. Diehl (ed.), Christendom and its discontents. Exclusion, persecution and rebellion, 1000-1500, 272-273, 279-280 ; J. Hernando, Els esclaus islàmics a Barcelona : blancs, negres, llors i turcs : de l’esclavitud a la llibertat (S. XIV), 103-105.

7 . Si, contrairement aux clauses précédentes et suivantes, on ne se réfère pas au Sarrasin comme marchandise à vendre (« venalem ») par le marchand juif, mais plutôt de l’esclave sarrasin acquis « causa servitii » et non « causa comertii », T. Mieres, Apparatus super constitutionibus curianum generalium Cathaloniae, Barcinonae: typis & aere Sebastiani à Cormellas, 1621, 38. Étant donné que les juifs n'avaient pas le droit d'avoir des serviteurs et des esclaves chrétiens, c'était parmi leurs coreligionnaires et les Sarrasins qu’ils pouvaient louer ou acheter quelqu'un (dans ce cas, seulement les musulmans) dans ce but. La documentation de l’époque s’y réfère en les appelant « moro » et « mora » de tel ou tel juif (J. X. Muntané, Fonts per a l’estudi de l’aljama jueva de Tàrrega. Documents i regesta, Barcelone : PPU, 2006, doc. 426, 429.2, 431 (1459) et aussi comme « mosso » et « mossa », c'est-à-dire, serviteur ou servante, dans le cas où la personne employée fut juive (J. X. Muntané, Fonts per a l’estudi de l’aljama jueva de Tàrrega. Documents i regesta, doc. 424 (1459), 546 (1481), 590 (1485), 634 (1492) quant aux servantes ; doc. 387, 390, 393 (1452), 429, 431 (1459), 546 (1481), 579 (1484), 621, 622 (1490), quant aux serviteurs).

8 . À partir des montants enregistrés dans les documents notariaux on se rend compte de la variabilité des prix de vente des esclaves; dans la documentation étudiée par O. Remie, notamment les contrats génois d’esclaves provenant de Tortosa, datés entre 1239 et 1248, presque tous les montants dépassent la somme de 12 sous mais sont malgré tout, en majorité, inférieurs à 12 morabetins (ou à son équivalent : 96-144 sous), O. Remie, « Muslim Spain and Mediterranean slavery: the medieval slave trade as an aspect of Muslim-Christian relations », 276-277 ; de même, R. Corbella, L’aljama de jueus de Vic, Vic : Publicacions del Patronat d’Estudis Ausencs, 1984, 175, doc. 9 (1267); cependant, dans l'étude de J. Hernando, axée sur le marché d’esclaves à Barcelone tout au long du XIVe siècle, le montant de 12 morabetins d’or alphonsins est dépassé, même par le prix minimal payé pour un esclave, qui fut de 10 livres (équivalent à 200 sous), tandis que le montant le plus élevé payé pour un esclave au cours de la même période, arriva jusqu’aux 70 livres, J. Hernando, Els esclaus islàmics a Barcelona : blancs, negres, llors i turcs : de l’esclavitud a la llibertat (S. XIV) , 71-89 (listes de prix, 73-88). Par contre, 100 florins furent payés l'année 1450 pour affranchir un esclave juif, J. Llobet, « La concessió de la llibertat a un esclau jueu (1450) »

9 . A. Pons, Los judíos del reino de Mallorca, I, 247, doc. 57 (1371) : constitution canonique de l’Église de Majorque qui dénonce cette pratique en relation aux « moros, tartres e altres infaels ».

Textes apparentés inclus dans le corpus

Etudes

  • B. Blumenkranz, Juifs et Chrétiens dans le monde occidental, 430-1096, Paris; La Haye: Mouton & Co., 1960.
  • J. Hernando, Els esclaus islàmics a Barcelona : blancs, negres, llors i turcs : de l’esclavitud a la llibertat (S. XIV), Barcelone: Consell Superior d'Investigacions Científiques, Institució Milà i Fontanals, Departament d'Estudis Medievals, 2003.
  • J. Llobet, « La concessió de la llibertat a un esclau jueu (1450) », Tamid. Societat Catalana d'Estudis Hebraics, 5 (200-2005), 59-63.
  • O. Remie, « Muslim Spain and Mediterranean slavery : the medieval slave trade as an aspect of Muslim-Christian relations », en S. L. Waugh ; P. D. Diehl (ed.), Christendom and its discontents. Exclusion, persecution and rebellion, 1000-1500, Cambridge: Cambridge University Press, 2002, 264-284.

Mots-clés

affranchissement ; conversion au christianisme ; esclaves ; Juifs/Judaïsme ; musulmans ; rachat

Auteur de la notice

Josep Xavier   Muntane Santiveri

Collaborateurs de la notice

Youna   Masset  :  relecture -corrections

Adam   Bishop  :  relecture -corrections

Comment citer cette notice

Notice n°246341, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»

Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait246341/.

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