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Constitucions i altres drets de Catalunya[I. 1. 9. 2 § 5]

Auteur

Jaume Callís et al.

Titre en français

Constitutions et autres droits de Catalogne

Titre descriptif

Interdiction faite aux juifs d'exercer la fonction publique de juge

Type de texte

constitution et interprétation

Texte

Item ab irrefragable constitucio statuhim que los jueus en persones propries officis publichs no presumesquen en alguna guisa exercir ço es officis de jutjar o homens justiciar i o punir o encara sentencies exequir.

Langue

catalan

Source du texte original

Constitucions de Catalunya: Incunable de 1495 (Barcelone: Generalitat de Catalunya. Departament de Justícia, 1988), fol. 18v [104]

Datation

  • Entre 1413 et 1422
  • Précisions : Traduction catalane d’une constitution approuvée par Jacques I pendant la Cour Générale de Barcelone (1228); aux Constitucions i altres drets de Catalunya on s'y réfère de la manière suivante : "De usures e deutes e privilegis de iueus e que no tinguen officis publichs ne dones cristianes en casa. Jacme primer en la cort de Barcelona."

Aire géographique

Traduction française

De même, avec conseil irréfragable nous décrétons qu’en aucune manière les juifs osent exercer des fonctions publiques, c'est-à-dire l'office de juge, ou de faire justice aux hommes ou de punir ou encore d’exécuter les sentences.

Source traduction française

J. X. Muntané Santiveri

Résumé et contexte

L’an 1228, pendant une réunion tenue dans une maison privée de Tarragone, le roi Jacques Ier souleva pour la première fois la possibilité de conquérir Majorque. Afin de discuter de cette initiative, les principaux ecclésiastiques et nobles du pays, ainsi que les représentants des citoyens de Catalogne se rassemblèrent à la fin de cette même année dans le palais comtal de Barcelone . 1 Lors de cette Cour générale, on aborda aussi d'autres questions dont une partie fut recueillie dans les constitutions de Paix et de Trêve promulguées le 21 décembre, 2 et le reste dans les constitutions « qui non tangunt pacem et treguam » approuvées le lendemain, le 22 décembre 1228. Ce sont ces dernières constitutions qui nous intéressent, en particulier celles destinées à réglementer certains aspects de la présence et de l'activité de la minorité juive dans la société catalane de la première moitié du XIIIe siècle.

1 . Libre dels feyts del rey en Jacme, sections 48-55.

2 . Sur l'importance de ces lois, qui devinrent un modèle pour les futures constitutions de ce type pendant le règne de Jacques Ier, cf. G. Gonzalvo, Les Constitucions de Pau i Treva de Catalunya (segles XI-XIII), 163-173.

Signification historique

Parmi les constitutions sur les juifs, les quatre premières traitent spécifiquement des activités de prêt, tandis que les deux restantes légifèrent sur des aspects qui, aux yeux de l'autorité ecclésiastique, menaçaient la réalisation de l'idéal chrétien dans cette société-là. Cependant, tel que c'était déjà le cas dans quelques constitutions précédentes, celle-ci, la cinquième, interdit aux juifs l’accès à la judicature. Elle est un autre exemple du pragmatisme avec lequel l'autorité royale résolvait des situations problématiques. En effet, dans cette constitution convergent deux courants opposés : d’un côté il y a l'ancienne loi ecclésiastique qui interdisait aux juifs d'exercer des fonctions publiques 1 et, de l’autre côté, on trouve la pratique qui intégrait les juifs dans l'infrastructure du gouvernement de leur royaume. Les cas des juifs exerçant des fonctions publiques (conseillers royaux, juges, collecteurs d'impôts, fournisseurs royaux, médecins royaux, etc.) pendant le Haut Moyen Âge sont nombreux, B. Blumenkranz, Juifs et Chrétiens, 40-41, 181-184. De la même façon, pendant une partie du Bas Moyen Âge, on trouve des juifs qui occupent certains de ces postes dans la couronne d'Aragon, par exemple A. Ayala, Fonts per a l’estudi de la comunitat jueva de Lleida, doc. 9 (1167), 11 (1168), 13 (1169), 15 (1170), 20 (1173), 21 (1173), 27 (1176), 32 (1185), 37 (1189), 71 (1263) : juifs exerçant la fonction de bayle royal à Lleida ; doc. 86 (1268) : de sous-bayle ; doc. 60 (1260), 103 (1275) : de peseur ; L. Berner, On the western shores, 265, doc. 10 (1250) ; D. Romano, Judíos al servicio de Pedro el Grande de Aragón (1276-1285).

La loi qui interdisait aux juifs l’accès à la fonction de juge ou aux fonctions publiques en général (comme l’obligation de démissionner dans le cas où ils exerçaient déjà cette fonction) voulait préserver la supériorité que la religion majoritaire accordait à ses fidèles face aux minorités religieuses, notamment aux juifs. 2 Effectivement, en agissant comme juge, bayle ou ayant un charge publique quelconque, le juif apparaissait revêtu d’une autorité qui mettait en question le rôle de subordonné que le Christianisme lui attribuait. En outre, les autorités ecclésiastiques considéraient ces charges comme la plateforme idéale pour exprimer l'hostilité que les juifs avaient envers les chrétiens ; en fait, c'était la raison invoquée par le Concile de Latran IV : « quoniam sub tali pretextu [l’exercice d’offices publics par les juifs] Christianis plurima sunt infesti », canon 69. 3

Il n'est pas difficile alors d'imaginer la position que les principales autorités religieuses catalanes durent avoir pendant la Cour Générale de 1228, et la pression qu’elles durent exercer sur les autres participants afin que la norme conciliaire fut acceptée et acquit valeur de loi civile. Jacques Ier, comme la plupart des rois d'Aragon/comtes de Barcelone, céda que partiellement aux diktats de l’Église 4 parce que, malgré son importance, la seule fonction dont on priva les juifs fut d'administrer la justice civile et pénale parmi les chrétiens. Les fonctions publiques qui restaient en dehors de l'exercice de la justice (comme celles de bayle et d'assesseur) continuèrent à leur être autorisées jusqu’à la Cour Générale de Montsó (1289). 5

D’ailleurs, si on pense que l'exercice de la fonction de juge impliquait de plus en plus une connaissance très précise et technique des lois (non seulement particulières ou nationales mais aussi générales), soit parce qu’il les avait étudiées soit parce qu’il avait des assesseurs juristes, chrétiens évidemment, on perçoit clairement la difficulté pour un juif –auquel était interdit l’accès aux centres d’étude chrétiens– de maîtriser ces connaissances et on voit encore mieux la portée limitée de cette constitution.

1 . Les lois romaines qui interdirent aux juifs l'accès aux fonctions publiques furent récupérées graduellement par les conciles ecclésiastiques médiévaux : Clermont (535) commença cette reprise en empêchant aux juifs de juger les chrétiens. Cette loi, considérée pour elle-même ou incluse dans des considérations plus générales sur la participation des juifs dans la fonction publique, réapparaît dans les divers conciles provinciaux qui se succédèrent jusqu'au Concile de Latran IV (1215) qui l’assuma dans sa formulation plus générale : « ne Judei publicis officiis preferantur » (§ 69), S. Grayzel, The Church and the Jews in the XIIIth century, doc. III (1195), V (1209), VI (1209), XI (1215) i XVIII (1227) ; B. Blumenkranz, Juifs et Chrétiens, 178-181, 341-344.

2 . L'un des canons du Concile de Latran III, qui légiférait sur un autre aspect de la relation entre juifs et chrétiens, formulait cela comme suit: « cum eos [les Juifs] subjacere Christianis oporteat », canon 26, S. Grayzel, The Church and the Jews in the XIIIth century, doc. I (1179) ; parmi les diverses raisons apportées par le juriste médiéval catalan T. Mieres, on peut lire celle-ci : « quia Judei servi sunt », Apparatus super constitutionibus, 3.

3 . Hostilité qui, dans la fonction de juge, pouvait s’exprimer à travers les attributions qui lui appartenaient et que la constitution que nous commentons ici indique en détail : juger, faire justice et exécuter la sentence. Le droit commun imposait une peine pour celui qui proposait un juif ou un païen à une fonction publique, parce qu'il lui donnait l’occasion de maltraiter les chrétiens : « poenam Christianis inferre », selon les mots du Concile de Tolède III (589) , reproduits par T. Mieres qui commente cette constitution, Apparatus super constitutionibus, 3 ; concile auquel le même canon 69 du Concile de Latran IV se réfère explicitement: « quod super hoc Toletanum concilium provide statuit ».

4 . L. Berner, On the western shores, 274-281.

5 . F. Valls, « Les constitucions catalanes de les Corts generals de Montçó, de 1289 », Revista Jurídica de Cataluña, 34 (1928), 268 ; Constitucions e altres drets de Catalunya, I. 1. 9. 5. Peu après, sous couvert du concile de Tarragona de 1233, Jacques Ier promulgua un ensemble de constitutions parmi lesquelles n’y avait une qui interdisait du promouvoir « ad bajuliam, vicariam, jurisdictionem temporalem vel officium publicum » les hérétiques très connus ou suspects, mais sans rien dire des juifs, J. Tejada, Colección de cánones y de todos los concilios de la Iglesia de España y de América: en latín y castellano, III, Madrid: Impr. de D. Pedro Montero, 1859-1862, 363, constitutio 3.

Textes apparentés inclus dans le corpus

Manuscrits

  • G. M. De Brocà, Taula de les Stampaçions de les Constitucions y altres drets de Cathalunya y de les costumes y ordinaçions de sos diverses paratges (Barcelona : Fills de Jaume Jepús, 1907), 13 ; J. M. Font i Rius, « Estudi introductori », Constitucions de Catalunya: Incunable de 1495 (Barcelona : Generalitat de Catalunya. Departament de Justícia, 1988), LXVII-LXX

Etudes

  • A. Ayala, Fonts per a l'estudi de la comunitat jueva de Lleida. Recopilació de documents i estat de la qüestió, Barcelona: PPU, 2006.
  • L. Berner, On the western shores: the Jews of Barcelona during the reign of Jaume I "el Conqueridor", 1213-1276, Los Angeles: University of California; Ann Arbor: UMI, 1986.
  • B. Blumenkranz, Juifs et Chrétiens dans le monde occidental, 430-1096, Paris; La Haye: Mouton & Co., 1960.
  • S. Grayzel, The Church and the Jews in the XIIIth century: a study of their relations during the years 1198-1254, based on the papal letters and the conciliar decrees of the period, New York: Hermon Press, 1966.
  • D. Romano, Judíos al servicio de Pedro el Grande de Aragón (1276-1285), Barcelona: Universitat de Barcelona, Facultat de Filologia, 1983.

Mots-clés

fonction publique ; interdiction ; juge ; Juifs/Judaïsme

Auteur de la notice

Josep Xavier   Muntane Santiveri

Collaborateurs de la notice

Youna   Masset  :  relecture -corrections

Adam   Bishop  :  relecture -corrections

Comment citer cette notice

Notice n°246336, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»

Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait246336/.

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