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Has constituciones fecit dominus Rex Jacobus primus apud Barchinonam[1]

Auteur

Cort general de Barcelona

Titre en français

Les constitutions faites par le seigneur roi Jaques I à Barcelone

Titre descriptif

Disposition sur le maximum légal d'intérêt autorisé pour les prêts juifs

Type de texte

constitution et interprétation

Texte

[…] in sollempni curia de communi consilio statuimus quod judei terre nostre non recipiant pro usuris nisi XX solidos per C in anno, et secundum hanc formam fiat computatio ad minus tempus vel maius et ad quantitaem minorem vel maiorem.

Langue

Latin

Source du texte original

Real Academia de la Historia, Cortes de los antiguos reinos de Aragón y de Valencia y principado de Cataluña, tomo I, parte 1, Madrid, 1896, 120

Datation

  • Date fixe : 1228

Aire géographique

Traduction française

[...] en cour solennelle, de commun accord, nous établissons que les juifs de notre terre ne reçoivent pas plus de 20 sous pour 100 d'intérêt à l’an et que d’après cette forme, soit effectué le calcul sur la base du fait que le temps soit moins ou plus grand ou que le montant soit moins ou plus grand.

Source traduction française

J. X. Muntané Santiveri

Résumé et contexte

L’an 1228, pendant une réunion tenue dans une maison privée de Tarragone, le roi Jacques Ier souleva pour la première fois la possibilité de conquérir Majorque. Afin de discuter de cette initiative, les principaux ecclésiastiques et nobles du pays ainsi que les représentants des citoyens de Catalogne se rassemblèrent à la fin du cette même année dans le palais comtal de Barcelone . 1 Lors de cette cour générale on aborda aussi d'autres questions dont une partie fut recueilli dans les constitutions de Paix et de Trêve, promulguées le 21 décembre, 2 et le reste dans les constitutions « qui non tangunt pacem et treguam », approuvées le lendemain, le 22 décembre 1228.

La pacification et la structuration de la société devinrent les conditions sans lesquelles un projet d’une envergure nationale, telle que la conquête de Majorque, aurait pu se réaliser. L'approbation des constitutions mentionnées ci-dessus allait précisément dans cette direction. Celles de Paix et de Trêve mirent sous la tutelle royale les propriétés et les gens de l’Église ; les habitants des villes royales et les juifs ; les hommes dépendants des chevaliers ; tous les animaux et les instruments appropriés pour travailler les champs ; les fermes et les pigeonniers, les granges, les ruches, les oliveraies et les moulins ; les routes et les voies publiques. Elles étendirent aussi la Trêve de Dieu à plusieurs jours et fêtes du calendrier liturgique chrétien. De leur côté, les constitutions du 22 décembre portèrent seulement sur deux groupes de personnes : les six premières réglaient certains aspects de la présence et de l'activité de la minorité juive dans la société catalane de la première moitié du XIIIe siècle ; les neuf restantes tournaient autour de l'institution et de la figure du viguier.

1 . Libre dels feyts del rey en Jacme, sections 48-55.

2 . Sur l'importance de ces lois, qui devinrent un modèle pour les futures constitutions de ce type pendant le règne de Jacques Ier, cf. G. Gonzalvo, Les Constitucions de Pau i Treva de Catalunya (segles XI-XIII), 163-173.

Signification historique

La moitié des constitutions sur les juifs sont destinées à réglementer l’activité du crédit réalisée par ce collectif. 1 La première d’entre elles fixe le taux maximum d’intérêt annuel à 20%, le célèbre « cot reial » qui resta en vigueur tout au long du Moyen Age dans les territoires du comte-roi de Barcelone. Le taux marquait la limite à ne pas dépasser sans risque d'être dénoncé et puni et offrait une gradation des types d'intérêt dans laquelle, sur la base du capital emprunté (« sort ») et le temps accordé pour le retourner, on calculait le bénéfice (« usures ») que le prêteur avait le droit d'exiger en même temps que le remboursement du capital initial. 2

Par rapport aux taux d'intérêt autorisés dans autres royaumes, le 20% approuvé par la Cour générale de 1228 se situait dans une position relativement modérée. 3 Si on prend en compte que les bénéfices qui découlaient du prêt des juifs impliquaient une augmentation des revenus pour le trésor royal, alors la constitution de 1228, en tant que limitation à la baisse du taux d'intérêt, serait une indice de la réception en Catalogne du IVe Concile du Latran (1215). 4 L'appel que le Concile avait lancé aux princes chrétiens à renoncer aux bénéfices qui dérivaient de la pratique usuraire, 5 trouva une réponse réaliste et pragmatique dans le « cot reial» de 20 % : même si la participation du prince à ce type de bénéfices se réduisait, elle se maintint encore comme une source de revenus tout à fait stable et non négligeable. 6

Quoi qu'il en soit, la limitation à 20% exigée par le prince disparaissait dans tous les cas où il promettait à quelques communautés juives que, pendant un certain temps, les taux d'intérêt avec lesquels elles prêtaient de l'argent ne seraient pas surveillés. L'effet immédiat de cette immunité fut la hausse des taux d'intérêt qui, à moyen terme, produisit une augmentation du bénéfice résultant des prêts, laquelle finalement permettait d'augmenter aussi les impôts royaux sur les juifs. 7

Sauf pour les cas exceptionnels mentionnés ci-dessus, la fixation d'une limite légale de l'usure entraîna l'apparition de plaintes pour abus et l’ouverture d'enquêtes pénales contre des individus 8 ou des communautés entières. 9 Si les procès engagés par les autorités royales finissaient d’habitude par des compositions ou des absolutions, 10 on peut juger ce type d'intervention du pouvoir royal dans le domaine de la justice plus comme une procédure de recouvrement cachée que comme une mesure de protection des biens des chrétiens de la « Judeorum perfidia » (CL IV § 67). 11

1 . Les juifs n'étaient pas les seuls à prêter de l'argent, mais il est vrai que très souvent on constate une plus grande dépendance des chrétiens pour l’argent juif que des juifs pour l’argent chrétien, Y. T. Assis, Els jueus de Santa Coloma de Queralt: estudi econòmic i demogràfic d'una petita comunitat jueva a la fi del segle XIII, Santa Coloma de Queralt: Associació Cultural Baixa Segarra, 2002, 45. En dépit des condamnations proférées sans cesse par les plus hautes autorités ecclésiastiques, l'interdiction évangélique du vitium usurarum ne devint d’application absolue et universelle parmi les chrétiens que de manière graduelle et avec difficulté. Pendant la première moitié du XIIIe siècle, le prêt d’argent fut licite en Catalogne non seulement pour les juifs, mais aussi pour les chrétiens, bien que le taux d'intérêt autorisé pour ces derniers était inférieur à celui permis pour les juifs : lors de la Cour générale de Tarragone en 1235 il fut fixé à 12%, l'ancien taux wisigothique, Cortes de los antiguos reinos de Aragón y de Valencia y principado de Cataluña, I, 1, 131 ; G. Feliu, La licitud de l’interès, 7-9 ; B. Clavero, Usura, 40, 59 ; P. Lara, « Fórmulas crediticias medievales en Aragón », Jerónimo Zurita. Cuadernos de Historia, 45-46 (1983), 10.

2 . En ce sens, on peut analyser la documentation relative au crédit en fonction de si l'intérêt associé au prêt était supérieur, égal ou mineur au taux fixé, M. D. Mercader, L’aljama jueva de la Bisbal d’Empordà abans de la pesta negra., 69-73. Les taux bas d'intérêt se trouvent bien documentés qu'on pourrait le croire. certains historiens expliquent cela comme un traitement de faveur pour les clients habituels (J. Shatzmiller, Shylock revu et corrigé,, 137-143) ou comme une révision à la baisse, mais toujours intéressée, des dettes non payées ou partiellement remboursées (J. Riera, Jornades d’història dels jueus de Catalunya., 170-171), sans oublier la loi de l'offre et de la demande ou le niveau de risque qu'encourait le prêteur (S. Grayzel, The Church and the Jews in the XIIIth Century, 44).

3 . En relation, par exemple, avec des taux d'intérêt contemporains plus élevés : du 33,3 % par an (F. Suárez, El Fuero judiego en la España cristiana: las fuentes jurídicas, siglos V-XV, Madrid, 2000, 67, 84-85 ; G. Feliu, La licitud de l’interès, 2008, 8), du 50 % (J. Fernández, « Crédit juif et solidarité villageoise dans les campagnes barcelonaises au XIIIe siècle », dans M. Berthe, Endettement Paysan & Crédit Rural, 171-172). L'intérêt normal en Grèce et à Rome avait été de 12 % et en Israël, en cas de retard, de 20 % (R. Maloney, « Usury in Greek, Roman an Rabbinic Thought », Traditio 27 (1971), 91, 107-108).

4 . A. Furió, « Endettement paysan et crédit dans la péninsule ibérique au bas moyen âge», dans M. Berthe, Endettement Paysan & Crédit Rural, 158 ; J. Shatzmiller, Shylock revu et corrigé,, 110.

5 . S. Grayzel, The Church and the Jews in the XIIIth Century, doc. IX, 306-307.

6 . Grâce à laquelle le comte-roi de Barcelone pu apporter un certain soutien financier à ses diverses entreprises. On doit rappeler aussi que parmi les assistants à cette Cour de Barcelone se trouvaient les principaux responsables de la diffusion et de l'application des normes conciliaires en Catalogne : Aspàreg, archevêque de Tarragone, Berenguer, évêque de Barcelone, Guillem, évêque de Vic, Guillem, évêque de Gérone et d'autres évêques et abbés de monastères.

7 . En 1322, Jacques II ordonna aux bayles de Lleida et Tàrrega d’arrêter pendant 10 mois les enquêtes concernant les prêts proposés par les juifs de ces localités à un taux supérieur à celui autorisé (C. Mañé; G. Escribà, The Jews in the Crown of Aragon. Regesta of the Cartas Reales in the Archivo de la Corona de Aragón. Part I: 1066-1327, Jérusalem, 1993, doc. 243) ; en 1323 il promit aux communautés juives de Valence, Saragosse et Osca de ne pas ouvrir d’enquêtes sur ce sujet et de pas procéder contre eux pour ce motif pendant un an (C. Mañé; G. Escribà, The Jews in the Crown of Aragon. Regesta of the Cartas Reales in the Archivo de la Corona de Aragón. Part I: 1066-1327, doc. 281, 282, 284) ; en 1341, Pierre III protégea pendant deux ans la communauté juive de Saragosse et cinq ans celle de Daroca de ces mêmes recherches (C. Mañé; G. Escribà, The Jews in the Crown of Aragon. Regesta of the Cartas Reales in the Archivo de la Corona de Aragón. Part II: 1328-1493, Jérusalem, 1995, doc. 960, 961). Avec ces permissions le roi voulait favoriser la reprise économique des communautés qui, en raison de mauvaises récoltes, guerres, épidémies ou taxes royales excessivement élevées, étaient en crise. D'un autre côté, on pouvait aussi trouver des annulations générales de dettes, telle que celle de 1257 lorsque Jacques Ier légiféra sur les dettes dues par les chrétiens aux juifs d'Aragon (A. Huici, Colección diplomática de Jaime I, el Conquistador, II, Valencia, 1919, doc. 569, 589).

8 . Les documents dans lesquels on accuse quelque juif d'avoir prêté à un taux supérieur sont très nombreux (parfois l’intérêt doublait par rapport au taux permis, C. Mañé; G. Escribà, The Jews in the Crown of Aragon. Regesta of the Cartas Reales in the Archivo de la Corona de Aragón. Part I: 1066-1327, doc. 273, de 1323; dans d'autres cas il était multiplié par cinq, G. Escribà, The Tortosa Disputation. Regesta of Documents from the Archivo de la Corona de Aragón. Fernando I: 1412-1416, Jérusalem, 1998, doc. 442, de 1414), c'est peut-être pour cela aussi que l'opinion est très répandue parmi les chercheurs selon laquelle dans les prêts d’argent de juifs à chrétiens l’infraction concernant le taux était la règle générale (R. Emery, The Jews of Perpignan in the Thirteenth Century, 86-87, 96-97 ; Y. T. Assis, « La participación de los judíos en la vida económica de Barcelona, s. XIII-XIV», 79-80 ; J. Riera, Jornades d’història dels jueus de Catalunya. Actes. Girona, abril 1987, 170-171 ; A. Rich, La comunitat jueva de Barcelona entre 1348 i 1391 a través de la documentació notarial, Barcelona, 1999, 209) et que 20 % était en réalité le gain net qui restait au prêteur après déduction des frais et des pertes (R. Emery, The Jews of Perpignan in the Thirteenth Century, 87).

9 . Évidemment tous les membres d'une communauté juive ne prêtaient pas de l'argent et pour la grand partie de ceux qui le faisaient, il s'agissait d'une activité occasionnelle qui concernait des quantités de capital peu importantes. Dans les communautés juives catalanes, les familles qui se professionnalisèrent dans le prêt furent toujours une minorité, influente, mais une minorité, L. Berner, On the Western Shores. The Jews of Barcelona during the reign of Jaume I "el Conqueridor", 1213-1276, Ann Arbor, 1993, 231, 234 ; C. Denjean, « Le crédit juif dans les campagnes cerdanes de 1260 à 1493 », dans M. Berthe, Endettement Paysan & Crédit Rural, 193. Les accusations portées contre des communautés entières, donc, furent une justification supplémentaire à la vision négative avec laquelle les théologiens chrétiens caractérisaient l’usure et qui réussit a s’introduire dans l'imaginaire médiéval en déplaçant dans l'association typique du juif avec l’usure, l'usure licite par l’illégale : non seulement on pouvait normalement accuser d'usuriers les juifs, chaque juif, mais maintenant on pouvait les accuser collectivement de demander des usures excessives aux chrétiens, M. Toch, « Economic Activities of German Jewish in the Middle Ages », 199. Ainsi le visiteur de l'évêque de Gérone accusa les juifs de Castelló d’Empúries en 1329 (G. Escribà ; M. P. Frago, Documents dels jueus de Girona (1124-1595), Girona, 1992, doc. 107) ; sans aucune preuve furent aussi accusés les juifs de Tortosa en 1414 (G. Escribà, The Tortosa Disputation. Regesta of Documents from the Archivo de la Corona de Aragón. Fernando I: 1412-1416, doc. 470).

10 . Les documents dans lesquels le monarque se mit d’accord ou absout une communauté en raison de l'usure illégale sont nombreux : J. Jacobs, An Inquiry into the sources of the History of the Jews in Spain, London, 1894, doc. 464, 470 (Barcelone, 1270) ; 631 (Majorque, 1272) ; 1074 (Vic, 1334-35) ; 1107 (Lleida, 1336) ; l’an 1290 Alphonse III s’entendit avec la communauté de Lleida pour une somme de 7 000 sous (A. Ayala, Fonts per a l’estudi de la comunitat jueva de Lleida, doc. 220) et avec celle de Majorque pour 37 000 sous (E. Pérez, Fonts per a l’estudi de la comunitat jueva de Mallorca, doc. 233) ; en 1298 Jacques II arriva à un accord avec les communautés de Barcelone et de Vilafranca qui montait à 100 000 sous (C. Mañé; G. Escribà, The Jews in the Crown of Aragon. Regesta of the Cartas Reales in the Archivo de la Corona de Aragón. Part I: 1066-1327, doc. 31, 32, 121) ; en 1415 tandis que Ferdinand Ier ordonnait d’enquêter sur les prêts d’argent des juifs en Catalogne, il accordait aussi des licences pour s’entendre avec eux (G. Escribà, The Tortosa Disputation. Regesta of Documents from the Archivo de la Corona de Aragón. Fernando I: 1412-1416, doc. 700).

11 . C. Denjean, La loi du lucre, 149.

Textes apparentés inclus dans le corpus

Etudes

  • M. Toch (ed.), Wirtschaftsgeschichte der mittelalterlichen Juden. Fragen und Einschätzungen, München, 2008.
  • M. Berthe (ed.), Endettement Paysan & Crédit Rural dans l'Europe médiévale e moderne. Actes des XVIIes Journées Internationales d'Histoire de l'Abbaye de Flaran. Septembre 1995, Toulouse, 1998.
  • Jornades d'Història dels Jueus a Catalunya. Actes: Girona, abril 1987, Girona, 1990.
  • I. Ollich; M. Casas, Els « Libri Iudeorum » de Vic i de Cardona, Barcelone, 1985.
  • C. Denjean, La loi du lucre: l'usure en procès dans la Couronne d'Aragon à la fin du Moyen âge, Madrid, 2011.
  • R. W. Emery, The Jews of Perpignan in the thirteenth century: an economic study based on documental records, New York, 1959.
  • M. D. Mercader, L'aljama jueva de la Bisbal d'Empordà abans de la pesta negra. Els Libri Iudeorum del segle XIV, La Bisbal d'Empordà, 1999.
  • J. Shatzmiller, Shylock revu et corrigé. Les juifs, les chrétiens et le prêt d'argent dans la société médiévale, Paris, 2000.
  • P. Lara « Fórmulas crediticias medievales en Aragón. Zaragoza, centro de orientación crediticia (1457-1486) », Jerónimo Zurita. Cuadernos de Historia, 45-46 (1983), 7-90.

Mots-clés

Juifs/Judaïsme ; prêt ; taux d'intérêt ; usure

Auteur de la notice

Collaborateurs de la notice

Youna   Masset  :  relecture -corrections

Adam   Bishop  :  relecture -corrections

Comment citer cette notice

Notice n°246329, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»

Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait246329/.

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