Constitutions et autres droits de Catalogne
Permission aux convertis du judaïsme au christianisme de mantenir leurs biens usuraires
constitution et interprétation
Item statuim que si iueu o jueus o iuya o juyes se batejaran o tornaran a la fe catholica que per ço car ells han a renunciar a llurs bens per ço com aquells han de usures e de leig guany e axi pus greument e pus dura ne venen a la fe catholica que nos aytant quant en nos es e en nostre poder e en nostre auctoritat Reyal e successors nostres e encare la cort per tot lo general de la terra lexam e remetem aquells a ells e als seus per tots temps.
Constitucions de Catalunya: Incunable de 1495 (Barcelone: Generalitat de Catalunya. Departament de Justícia, 1988), fol. 2r [69]
Quand un juif ou une juive ou des juifs veulent se baptiser et se rendre à la foi catholique, du moment qu’ils doivent renoncer aux biens qu’ils ont eu d’usures et de gains laids, c’est ainsi qu’ils viennent à la foi catholique très gravement et durement. Pourtant, nous, comme cela est notre droit parce que nous avons le pouvoir et l’autorité royale, et nos successeurs et aussi la cour générale de toute notre terre renonçons et remettons ces biens à eux et aux leurs à tout jamais.
J. X. Muntané Santiveri
A la différence du statut « missionnaire » de 1243 qui, pour gagner des nouveaux adeptes au christianisme, essayait de remédier à la perte matérielle qui dérivait de la conversion en permettant que les néophytes pussent conserver la totalité de leurs biens meubles, immeubles et cheptel vif, cette constitution de 1300 se fait écho du problème que posait une partie de ces biens : ceux qui provenaient des pratiques usuraires et qui, avec le baptême, passaient d'un contexte juif à un chrétien sans changer de propriétaire. Ce qui aux uns était permis, aux autres était totalement interdit. La constitution de 1300, donc, non seulement met en exergue la différentiation qui s’introduit dans l’ensemble générique des biens approuvé le 1243 et la praxis spécifique qu'elle provoqua (l’abandon, avec la conversion, des biens tenus pour impropres d’un chrétien), mais elle veut résoudre les problèmes qui en dérivaient : l'indigence du converti qui devait renoncer à ses biens usuraires et (on ne le dit pas explicitement mais c'est sous-entendu) la faible attraction qu’un procès de conversion de ce type –et que le texte légal qualifie de « gravius vel durius »– suscitait chez les juifs, 1 à un moment (la fin du XIIIe siècle et premières décades du XIVe) où le prêt d’argent avec intérêt était encore activement pratiqué par une partie de la population juive de la Catalogne. 2
1 . Dans ce sens, T. Mieres introduit son commentaire à cette constitution en disant ouvertement que son but était : « ut Iudaei facilius convertantur » et l’attribuant au « zelo fidei » du roi (135).
2 . En effet, les lois relatives à l’usure de 1228 furent confirmées aux XIIIe et XIVe siècles car pendant cette période on n’arrêta pas de recourir au crédit juif –parmi d'autres, c’est vrai– pour satisfaire les besoins de liquidité accrus de cette société en expansion, F. Baer, A History of the Jews in Christian Spain, vol. 2, 3-4 ; Y. T. Assis, Jewish Economy in the Medieval Crown of Aragon, 49-60.
La traduction catalane de la constitution de 1300 reste fidèle à l'original sauf pour l'incorporation du pluriel "juyes" qui manque au texte latin et renforce le message selon lequel tout juif qui a prêté de l'argent à intérêt est inclus parmi les destinataires ou bénéficiaires de cette règle. Comme il a déjà été expliqué dans le commentaire de la version latine, cette constitution autorise les convertis du judaïsme a préserver la totalité de leurs biens, même dans les cas où ils provenaient de pratiques usuraires. Les années où cette loi fut jointe à la compilation des Constitutions de Catalunya (1412-1423), cela faisait à peu près un demi-siècle que les prêts à intérêt avaient été supplantés par les rentes et que l'activité de crédit, comme une partie de la population juive l’avait pratiqué au cours des XIIIe et XIVe siècles, avait connu une forte baisse. Malgré cela, dans les conversions qui eurent lieu pendant les premières décennies du XVe siècle, à l’occasion de la Dispute de Tortosa (1412-1414), on retrouve les questions soulevées par les prêts. 1
1 . Comme une simple lecture de la documentation de cette période le montre, G. Escribà, The Tortosa disputation : regesta of documents from the Archivo de la Corona de Aragón, Fernando I, 1412-1416.
conversion au christianisme ; Juifs/Judaïsme ; propriété ; usure
Josep Xavier Muntane Santiveri
Youna Masset : relecture -corrections
Adam Bishop : relecture -corrections
Notice n°246323, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait246323/.