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Lachrymabilem Judeorum

Auteur

Gregorius IX

Titre en français

Lachrymabilem Judeorum

Titre descriptif

Interdiction de violence des croisés contre les juifs

Type de texte

Bulle pontificale

Texte

Archiepiscopo Burdegalensi, et Xanctonensi, Engolismensi, et Pictavensi episcopis. Lachrymabilem Judeorum in regno Francie commorantium, et miseratione dignam recepimus questionem, quod cum crucesignati civitatum vestrarum et diocesum debuerint corda et corpora preparasse ad proelium Domini proeliandum, ac hereditatem Christi liberate de manibus paganorum, qui exigentibus culpis populi Christiani detinent et coinquinant templum Dei; et quanta hujusmodi proelium specialius est ipsius, tanto timorem Sui nominis et amorem humilius amplexari ne, quod absit, in suis noxiis desideriis ambulantes divinam contra se patientiam provocarent ; iidem cum aliis crucesignatis adversus Judeos eosdem impia consilia cogitantes nec attendentes, quad quasi ex archivis ipsorum Christiane fidem testimonia prodierunt, et propheta testante, Si fuerint velut arena maris, ipsorum tandem reliquie salve fient, quoniam non repellet in sempiternum Dominus plebem suam; delete ipsos de terre facie pene penitus moliendo, ex inaudite ac insolite crudelitatis excessu duo milia et quingentos ex ipsis tam magnos quam parvos, mulieresque pregnantes hostili rabie trucidarunt, nonnullis lethaliter vulneratis, et conculcatis aliis equorum pedibus sicut lutum, ac libris eorum incendio devastatis, ad maius opprobrium et ignominiam eorundem morticina taliter occisorum escas volatilibus coeli, et carnes eorum terre bestiis exponentes, ac mos qui ex occisione hujusmodi remanserunt, viliter et ignominiose tractantes, bona ipsorum auferunt, et consumunt, et ut tam immane flagitium possint virtutis pallio fibulare, ac iustificare utcumque sue impietatis causam, fingunt se premissa fecisse ac peiora facere comminantur, pro eo quod renuunt baptizari; non considerato prudenter, quod licet orta tempestate in hoc mari magno et spatioso, ac in ea periclitant humano genere, verus lonas Dei Filius Jesus Christus in eius altitudine veniens, se permiserit ab ipsa tempestate demergi, ut nos Deo recociliaret in suo sanguine, ac innovaret per lavacrum regenerationis, eiusdem sanguine consecratum, non excludens conditionem, vel sexum, per quod in adoptionem flliorum Del ex omni gente possit assumi. Quia tamen, cui vult Dominus miseretur, non sunt ad baptismi gratiam, nisi sponte voluerint, compellendi, quia sicut homo propria voluntate arbitrii suggestioni serpentis obediens cecidit, sic vocante se Dei gratia liberum arbitrium debet apponere ut resurgat. Propter que quasi sub nova egyptica sernitute positi, suum exterminium metuentes, ad Apostolice Sedis clementiam duxerunt humiliter recurrendum. Ne igitur tante temeritatis audacia si repressa non fuerit, transeat aliis in abusum, mandamus quatenus excedentes hujusmodi in vestris diocesibus commorantes ad satisfactionem de perpetrata iniquitate, ac ablatis Judeis eisdem congruam impendendam singuli vestrum monitione premissa per censuram ecclesiasticam appellatione remota cogatis. Datum Reate, Non. Sept., anno decimo.

Langue

Latin

Source du texte original

S. Grayzel, The Church and the Jews in the XIIIth Century (New York, 1966), 226-8.

Datation

  • Date fixe : 05/09/1236

Aire géographique

Traduction française

A l’archevêque de Bordeaux, et aux évêques de Saintes, Angoulême et Poitiers. Nous avons appris la déplorable complainte des juifs qui demeurent au royaume de France et digne de commisération, à savoir que des croisés de vos cités et diocèses qui auraient dû avoir préparé leurs cœurs et les corps pour combattre dans les batailles de Dieu, et libérer l’héritage du Christ des mains des païens, qui, du fait des péchés du peuple chrétien détiennent et profanent le temple de Dieu ; et autant un combat de cette manière est particulièrement celui du Christ, autant il faut embrasser avec plus de modestie la peur de Son nom et Son amour afin que, ce qu’à Dieu ne plaise, ils n’excitent pas contre eux, se promenant dans leurs désirs coupables, la patience divine ; eux-mêmes avec d’autres croisés, méditant des décisions impies contre ces mêmes juifs et sans considérer que, d’après leurs propres archives, ils ont quasiment produit les témoignages pour la foi chrétienne, comme le prophète le prouve, et « S’ils furent comme le sable de la mer », le reste d’entre eux sera cependant sauf, parce que le Seigneur ne rejettera pas éternellement son peuple ; ils les ont anéantis de toute la surface de la terre presque sans faiblir : dans un excès inouï et inhabituel de cruauté, ils trucidèrent deux mille cinq cents d’entre eux, aussi bien les adultes que les enfants, et les femmes enceintes, quelques-uns furent mortellement blessés, les autres furent piétinés par des chevaux tout comme de la boue, leurs livres furent brûlés et, pour une plus grande honte et ignominie, ils exposèrent leurs cadavres comme les dépouilles des tués pour les oiseaux du ciel, et les chairs pour les bêtes terrestres, et traitant honteusement et ignominieusement ceux qui survécurent à ce massacre, ils rassemblèrent leurs biens et les brûlèrent, et comme s’ils pouvaient dissimuler du voile de la vertu une telle turpitude, et justifier d’une manière ou d’une autre leur cause impie, ils se représentèrent comme ayant fait ce qui a été exposé plus haut et menacèrent de faire pire, au motif qu’ils (les juifs) refuseraient le baptême ; ils n’ont pas réfléchi avec clairvoyance en ce qu’il est possible qu’une tempête naisse dans cette mer vaste et immense, et que le genre humain est mis en péril dans cette tempête, alors que le vrai Jonas, le Fils de Dieu, Jésus-Christ, descendant dans ces profondeurs, se laissa submerger par cette tempête, afin qu’il nous réconcilie avec Dieu par son sang, et renouvela par ce baptême de régénération, consacré par son propre sang, sans exclusion de condition, ou de sexe, et par ce fait quiconque, de n’importe quel peuple, pouvait être adopté parmi les enfants de Dieu. Et autant un combat de ce genre relève tout spécialement de Lui, autant la peur et l’amour de Son nom devraient les étreindre afin que, du fait de son absence, ils ne défient contre eux la patience divine, avançant dans leurs désirs mauvais. Parce que cependant, ceux que Dieu veut prendre en pitié ne doivent pas être contraints à recevoir la grâce du baptême, à moins qu’ils ne le veuillent, parce que de la même manière l’homme succomba de sa propre volonté aux tentations obéissant à la ruse du serpent, ainsi quand la grâce de Dieu l’appelle, le libre-arbitre doit prendre position pour se redresser. C’est pourquoi placés sous une nouvelle servitude égyptienne, craignant leur extermination, ils sont conduits humblement à recourir à la clémence du Saint Siège. Par conséquent, afin qu’une telle témérité, si elle n’était pas réprimée, ne continue à entraîner d’autres hommes dans l’erreur, nous ordonnons que chacun, vous imposiez la prison pour ceux qui ont commis les excès de cette sorte dans vos diocèses pour compenser l’iniquité perpétrée, et qu’un dédommagement convenable soit accordé aux juifs spoliés, après avoir donné à l’avance l’avertissement par censure ecclésiastique, sans possibilité d’appel. Donné à Reate, aux nones de septembre, dans la dixième année du règne.

Source traduction française

C. Chauvin

Résumé et contexte

Ce texte constitue l’une des principales sources décrivant les massacres des juifs en Bretagne et dans l’Ouest du royaume de France en 1236. Ces massacres se déroulèrent en 1236, dans un contexte auquel les historiens font référence sous le nom de « croisades des barons ». Grégoire adresse sa lettre à l’archevêque de Bordeaux et aux évêques de Saintes, Angoulême et Poitiers, montrant qu’il est concerné en particulier par les juifs du Sud-Ouest de la France. On ignore s’il avait adressé ou non des lettres similaires à l’archevêque de Tours et aux évêques de Bretagne et d’Anjou : la même année, le concile provincial de Tours dénonça également les attaques des Croisés contre les juifs (voir la notice 137043). L’origine de l’information du pape, comme il le dit, est « une complainte déplorable et digne de commisération venant des juifs qui habitent au royaume de France ». Ces juifs ont décrit le massacre brutal de 2500 juifs (peut-être une exagération) de la main des croisés. La description suggère qu’au moins certains de ces juifs se sont vus proposer le choix entre le baptême et la mort. Grégoire dénonce cette barbarie et cette cruauté et accuse les croisés de recouvrir leur cupidité du voile de la piété. Il rappelle à ses lecteurs que le baptême doit être volontaire. Il ordonne aux évêques de mettre un terme aux violences, de traîner en justice ceux qui les ont perpétrées et d’offrir une compensation aux juifs survivants pour leurs pertes matérielles.

Signification historique

Il s’agit de la plus longue description des massacres de 1236, qu’aucune chronique ne rapporte en détail. On ignore précisément qui sont ceux qui ont perpétré ces massacres, ainsi que le nombre de juifs tués ou baptisés de force, bien que la description de Grégoire corresponde aux caractéristiques de la violence des croisés contre les juifs vus lors d’autres vagues aux XIème et XIIème siècles. Aucune de ces sources ne donne les noms des villes dans lesquelles ces massacres eurent lieu. Il pourrait très bien que Pierre de Dreux, l’un des leaders de la croisade, et ces hommes fussent associés à quelques-unes de ces violences ; en 1240, le fils de Pierre Jean le Roux, duc de Bretagne, chassa les juifs du duché et promulgua une amnistie générale pour tous ceux impliqués dans les violences anti-juives de 1236 (voir la notice 87461).

Textes apparentés inclus dans le corpus

Etudes

  • M. Lower, The Barons' Crusade: a call to arms and its consequences (Philadelphia , 2005).
  • J. Tolan, "Lachrymabilem judeorum questionem: la brève histoire de la communauté juive de Bretagne au XIIIe siècle", http://hal.inria.fr/docs/00/64/99/09/PDF/lachry.pdf

Mots-clés

baptême ; croisade ; violence

Auteur de la notice

John   Tolan

Collaborateurs de la notice

Claire   Chauvin  :  traduction

Comment citer cette notice

Notice n°238137, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»

Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait238137/.

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