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Usatges de Barcelona[us. 75]

Assemblée

Usatges de Barcelona

Titre descriptif

Interdiction des violences physiques ou verbales faites aux juifs ou aux musulmans convertis

Type de texte

Usage

Texte

Si quis iudeo uel sarraceno baptizatis retraxerit illorum legem uel appellauerit eos tressalidz uel renegats, uel si quis infra menia nostra uel burgos primus eduxerit gladium contra alium uel appellauerit aliquem cuguz, propter bannum emendet ad principem uiginiti uncias auri Valencie. Et si ibi aliquod malum audierit uel acceperit, nullo modo ei emendatum sit, et ille postea stet aduersario suo ad directum et iusticiam.

Langue

Latin

Source du texte original

J. Bastardas, Usatges de Barcelona, El Codí a mítjan segle XII (Barcelona, 1991), 108.

Datation

  • Entre 1085 et 1110
  • Précisions : Cet usage permet de proposer une meilleure datation du code des Usatges de Barcelona, grâce à la mention des onces d’or de Valence comme monnaie de référence. Ainsi Joan Bastardas a pu établir une période probable pour leur rédaction entre 1085 et 1110.

Aire géographique

  • Catalogne
  • Cet Usage est promulgué par le Comte de Barcelone, mais son application ne se cantonne pas à cette ville ; toute la Catalogne l'applique.

Traduction française

Si quelqu'un a ramené un juif ou un sarrasin baptisé à sa loi ou qu’il l'a appelé apostat ou renégat, ou si quelqu’un, à l’intérieur de nos murailles ou de nos bourgs, a tiré son épée contre quelqu’un d’autre ou l'a appelé cocu, qu’il verse au prince la somme de vingt onces d'or de Valence en punition de ce qu'il a fait. Et s'il [la victime] a entendu ou souffert n'importe quel mauvais traitement, il ne recevra aucune compensation pour cela mais, à compter de la présente décision, il pourra s’en remettre à la loi et à la justice contre son adversaire.

Source traduction française

L. Foschia

Résumé et contexte

La peur chrétienne de l’apostasie imprègne cet Usage. Peut-être le Comte craint-il que les nouveaux chrétiens retournent à leur ancienne foi sous la pression de leurs anciens coreligionnaires. Pour s’en prémunir, il légifère et décide qu’à partir de la présente un procès sera ouvert afin de punir tous ceux qui auront malmené ces convertis juifs et musulmans. Toutefois, cela n’est pas rétroactif et les victimes ne pourront pas recevoir de dédommagements pour les affaires passées, seulement pour les futures. Pour Gener Gonzalvo i Bou cet Usage symbolise la mise en place d’une politique de protection des minorités religieuses. Mais peut-on véritablement comprendre ce texte en ces termes ? En effet, le Comte semble être soucieux des convertis, donc des nouveaux chrétiens, et non pas des juifs et musulmans qui sont présentés comme intolérants et violents face à ceux-ci.

Signification historique

Une lecture plus poussée du texte révèle que le Comte cherchait avant tout à supprimer les justices privées et la vengeance pour les cas de relaps et d’adultère. Le fait de « ramener » un juif ou un sarrasin et de l’appeler « apostat » semble faire référence aux tribunaux communautaires qui jugent pour apostasie leurs anciens membres qu’ils tentent de remettre dans le droit chemin et de punir pour leur foi vacillante. Ainsi, le Comte cherche à éradiquer l’influence de ces juges juifs ou musulmans pour ce domaine précis. De plus, la condamnation de ceux qui sortiraient leur épée au sein de la ville contre quelqu’un présenté comme cocu met en évidence le problème de la vengeance privée pour les questions d’adultère. Jusqu’alors, quand on recevait un tel affront, on pouvait faire justice soit même. Le Comte refuse dorénavant de tels agissements dans ces cas précis mais les accepte toujours dans d’autres. La mention de cette possibilité dans certains Usages met en évidence le fait que la vengeance privée n’est pas prohibée mais réglementée. La volonté du Comte est clairement celle de posséder le pouvoir judiciaire dans les cas d’adultère et d’apostasie. Ces deux crimes sont, en effet, particulièrement graves comme on peut le constater à la vue de l’amende particulièrement lourde de 20 onces d’or de Valence payée à la justice. Dans le reste du recueil des Usages de Barcelone, les peines préconisées sont le plus souvent moins importantes, et cela même pour les cas d’homicide. Enfin, les cas d’adultère et d’apostasie sont au cœur des préoccupations de l’Église et le Comte en s’en emparant s’approprie en même temps les prérogatives ecclésiastiques. Ce recueil a influencé en grande partie les codes ou textes normatifs postérieurs, en servant de référence à grand nombre d’entre eux, notamment, dans l’article 1 de la rubrique 4 du livre 9 des Coutumes de Tortose consacrée au crime d’injure : « Injuria es e deu esser punida peccunialment o criminalment en aquela pena que es establida segons lusatge del comte de Barcelona. O per dret comu, a albiri de jutge per sentencia : segons la dignitat e la qualitat de les persones ; y el loc en que aquela injuria es dita o feyta. L'injure est et doit être punie au civil ou au criminel selon les sanctions établies par les usages du comte de Barcelone, ou par le droit commun, ou par l’arbitrium du juge, et [ces sanctions] doivent être fonction de la dignité et de la qualité des personnes ainsi que du lieu ou de l’endroit où l'injure a été dite ou proférée. » Dans ce texte, il n’y a pas de distinction entre juifs, chrétiens et musulmans, seulement une liberté laissée au juge de se prononcer différemment selon la « dignité et la qualité des personnes ». Mais pouvons-nous réellement en déduire que cela sous-entend une césure religieuse ? Ou est-ce plutôt une volonté de punir plus durement les personnes de mauvaise réputation, les infâmes (ceux qui ont mala fama) ? Cette deuxième hypothèse semble plus réaliste au vu du nombre de restrictions dont sont victimes ces personnes, comme par exemple l’interdiction de témoignage. On ne peut leur faire confiance. Mais en aucun cas juifs et musulmans ne sont qualifiés comme tels sauf s’ils ont commis des crimes, et dans ce cas-là ce n’est pas leur appartenance à une religion minoritaire qui leur fait défaut mais leur culpabilité. Cette Coutume confirme l’hypothèse selon laquelle l’autorité laïque cherche avant tout à s’emparer du pouvoir judiciaire dans les cas d’adultère et d’apostasie, d’injure, et ainsi de l’importante juridiction qui y est rattachée.

Editions

  • J. Bastardas, Usatges de Barcelona, El Codí a mítjan segle XII (Barcelona, 1991), 108.

Etudes

  • G.Gonzalvo i Bou, “Els jueus i els usatges de Barcelona”, Barcelona quaderns d'História 2/3 (1996), 117-124.

Mots-clés

apostasie ; conversion ; juridiction

Auteur de la notice

Youna   Masset

Collaborateurs de la notice

Laurence   Foschia  :  traduction

Capucine   Nemo-Pekelman  :  collaborateur pour le commentaire

Adam   Bishop  :  traduction

Comment citer cette notice

Notice n°103969, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»

Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait103969/.

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