> Extrait

Lycophron, Alexandra, 183-201.

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Date du texte cité

IIIe siècle av. J.-C.

Précisions : (datation incertaine)

Texte (version originale)

οἱ δ᾽αὖ προγεννήτειραν οὐλαμωνύμου

βύκταισι χερνίψαντες ὠμησταὶ πόριν,

τοῦ Σκυρίου δράκοντος ἔντοκον λεχώ,

ἣν ὁ ξύνευνος Σαλμυδησίας ἁλὸς

ἐντὸς ματεύων, Ἑλλάδος καρατόμον,

δαρὸν φαληριῶσαν οἰκήσει σπίλον

Κέλτρου πρὸς ἐκβολαῖσι λιμναίων ποτῶν,

ποθῶν δάμαρτα, τήν ποτ᾽ἐν σφαγαῖς κεμὰς

λαιμὸν προθεῖσα φασγάνων ἒκ ῥύσεται.

Βαθὺς δ᾽ἔσω ῥηγμῖνος αὐδηθήσεται

ἔρημος ἐν κρόκαισι νυμφίου δρόμος,

στένοντος ἄτας καὶ κενὴν ναυκληρίαν

καὶ τὴν ἄφαντον εἶδος ἠλλοιωμένην

Γραῖαν σφαγείων ἠδὲ χερνίβων πέλας

Ἅιδου τε παφλάζοντος ἐκ βυθῶν φλογὶ

κρατῆρος, ὃν μέλαινα ποιφύξει φθιτῶν

σάρκας λεβητίζουσα δαιταλουργίᾳ.

Χὡ μὲν πατήσει χῶρον αἰάζων Σκύθην,

εἰς πέντε που πλειῶνας ἱμείρων λέχους.

Traduction

Et eux ensuite, qui immoleront, Féroces, une génisse

Aux mugissants, la grande mère ** du dénommé «guerre »,

La génitrice accouchant ** du dragon scyrien,

Dont le mari, la cherchant au sein

De la mer salmydésienne, ** elle, la trancheuse de tête de l’Hellade,

Habitera longtemps un rocher ** blanchissant

Près des bouches du Celtre ** aux eaux marécageuses,

Regrettant son épouse ** qu’un jour lors d’un sacrifice une biche

En offrant son cou, ** écartera du glaive.

Étendu sur la ligne des brisants, ** ce désert,

Parmi les galets, ** sera appelé ** « course du fiancé »,

Du fiancé qui gémira sur ses malheurs, ** sur sa vaine navigation

Et sur la disparue,** transfigurée sous la forme

D’une vieille femme entourée d’égorgeoirs ** et de bassins lustraux

Et, sur une flamme issue des abîmes d’Hadès, d’un bouillonnant

Cratère ** sur lequel, noire, ** elle soufflera en chaudronnant

Des chairs de trépassés ** Pour son banquet.

Et lui, il foulera ** le pays scythe en se lamentant

Durant presque cinq ans, ** désireux de sa couche.

Source de la traduction

traduction empruntée à l'édition Chauvin/Cusset

Paraphrase/Commentaire sur le texte

Ce passage concerne le sacrifice d'Iphigénie, mère Néoptolème (le «dénommé "guerre"» parce que son nom peut être interprété comme "nouvelle guerre" et parce qu'il remplace son père à la fin du conflit troyen). Lycophron indique ici que Néoptolème serait le fils d'Iphigénie et d'Achille (ici désigné comme l'époux d'Iphigénie). Cette tradition, qui situe apparemment les amours d'Iphigénie et d'Achille sur l'île de Scyros (voir Douris 76 F 88 Jacoby, et l'appellatif de "dragon scyrien" pour Néoptolème dans ce passage de Lycophron), s'éloigne de la version la plus répandue qui fait de Néoptolème le fils d'Achille et de Déidamie, la fille de Lycomède, roi de Scyros. Ce passage évoque en outre le destin futur d'Iphigénie, sauvée par Artémis, et devenue sa prêtresse en Tauride où, vieillie prématurément (d'où la comparaison avec une Grée au v. 196), elle accomplit des sacrifices humains. La mer de Salmydèsos est la mer Noire (Salmydèsos est Midia, ville de Thrace); le roc blanc où habitera Achille est l'île Blanche (Leukè, lieu des amours d'Achille et d'Hélène, où existait un culte d'Achille); la Carrière d'Hachille («carrière du marié») se situait au sud de l'Hylée et de l'embouchure du Dniepr, dans la presqu'île de Tendra. À travers ces différents toponymes, ce passage évoque les errances d'Achille à la recherche de son épouse, dédoublant ainsi le modèle des errances de Ménélas recherchant Hélène après le conflit troyen.

Une remarque s’impose quant à la situation chronologique du sacrifice dans le déroulement de la guerre de Troie : Lycophron en effet renverse l’ordre des épisodes tels qu’ils apparaissent dans les Chants Cypriens auxquels il emprunte, comme les Tragiques avant lui, l’épisode du sacrifice qui est inconnu d’Homère : dans les Chants Cypriens, la première expédition contre Troie part de la première assemblée à Aulis (cf. Proclus, fr. 23 K) et aboutit à la campagne malencontreuse en Mysie (cf. Proclus, fr. 24-26 K), puis la seconde expédition contre Troie commence avec la seconde assemblée à Aulis (fr. 29 K) et le sacrifice d’Iphigénie (fr. 30-31 K). Ici au contraire, le sacrifice d’Iphigénie inaugure la première expédition qui arrive en Mysie et que Cassandre annonce aux vers 200-215. Cette transformation a plusieurs conséquences : l’importance du sacrifice d’Iphigénie est d’abord en quelque sorte minimisée dans la mesure où celui-ci est éloigné des événements proprement dits de la guerre de Troie. Le point de vue sur le sacrifice est dès lors nettement modifié : il sert beaucoup moins la gloire d’Agamemnon qu’il ne vaut pour lui-même. La figure d’Agamemnon est d’ailleurs totalement absente de cette évocation.

Quant au sacrifice proprement dit, il est ici mentionné à deux reprises : la première mention est située au vers 184. Lycophron fait le choix d’un euphémisme avec le participe χερνίψαντες ; cet hapax morphologicum (Lycophron est le seul à employer l’actif1) signifie proprement « se laver (νίπτω) les mains (χείρ) avec l’eau lustrale avant le sacrifice ». En retenant la forme active de ce verbe, Lycophron indique qu’il veut en modifier le sens et l’employer par métonymie au sens de « sacrifier » : néanmoins les éléments du composé restent clairs et l’emploi forcé du verbe ne permet pas d’effacer tout à fait le sens propre, de sorte que le sacrifice est (au moins partiellement) évité dans sa désignation même. Ici les « vents » sont bien l’objet de ce sacrifice propitiatoire, mais si l’on en reste à l’emploi ordinaire du datif, on pourrait comprendre que le sacrifice est offert aux vents, c’est-à-dire qu’il est renvoyé à une forme d’inanité et d’inefficacité puisqu’il n’est pas adressé à la divinité, en l’occurrence Artémis, qu’il s’agit d’apaiser.

La seconde allusion, plus développée, est située aux vers 190-191 et porte sur la substitution d’une biche à Iphigénie. Cette fois, le sacrifice n’est pas désigné par un euphémisme, mais par le terme cru et technique de la langue tragique (σφαγή qui renvoie non à l’ensemble de la cérémonie sacrificielle, mais à l’acte précis de l’égorgement). La divinité est apparemment exclue de l’événement, contrairement à ce que l’on trouve notamment chez Euripide.

Rédacteur du commentaire

C. Cusset et É. Prioux

Indexation

Ethnique(s):

Grec; Scythe

Commentaire iconographique 1

Commentaire

On peut rapprocher des vers 190-191 («regrettant son épouse qu’un jour lors d’un sacrifice une biche en offrant son cou, écartera du glaive») la scène du sacrifice d'Iphigénie peinte vers 360 av. J.-C. sur un cratère apulien du British Museum (F 159) où la frêle silhouette de la jeune fille se superpose à celle d'une biche dressée sur les pattes postérieures, le cou tendu vers l'arme du sacrificateur.

Objet(s) et image(s)

http://www.limc-france.fr/LIMC/objet/58

Auteur du commentaire iconographique

P. Linant de Bellefonds

Commentaire iconographique 2

Commentaire

Au vers 187, Lycophron qualifie Iphigénie de "trancheuse de tête de l'Hellade". Une amphore campanienne du Musée de l'Ermitage (B 2080: http://www.limc-france.fr/LIMC/objet/13669), datée aux env. de 330 av. J.-C., montre Iphigénie, Oreste et Pylade quittant subrepticement le temple d'Artémis en emportant la statue de culte ; le détail d'une tête humaine coupée, suspendue au temple, évoque la réalité morbide des sacrifices humains dont Iphigénie était chargée, faisant ainsi écho au vers de Lycophron.

De même, une urne cinéraire étrusque de l'Université de New York (http://www.limc-france.fr/LIMC/objet/13670) montre, derrière Oreste assis sur l'autel entre Iphigénie et Pylade, deux têtes humaines coupées posées sur un haut pilastre. Ces deux têtes sont ceintes de bandelettes, comme celles d'Oreste et de Pylade dont elles préfigurent le sinistre sort.

On retrouve, plus tard, ce détail des têtes coupées sur une série de sarcophages de marbre romains (IIe s.) montrant l'arrivée d'Oreste et Pylade enchaînés auprès d'Iphigénie qui les attend, l'épée à la main (http://www.limc-france.fr/LIMC/objet/13671).

Objet(s) et image(s)

http://www.limc-france.fr/LIMC/objet/13669

http://www.limc-france.fr/LIMC/objet/13670

http://www.limc-france.fr/LIMC/objet/13671

Auteur du commentaire iconographique

P. Linant de Bellefonds

Comment citer cette notice

Texte n°268 dans CALLYTHEA [En ligne]; http://www.cn-telma.fr/callythea/extrait268/. Première version : 28/01/10. Date de mise à jour : 15/11/12

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